Spectacle conçu et mis en scène par Cédric David avec Florence Balazuc, Tanguy Belbeoc'h, Leslie Corbery, Xavier Depoix, Luc Ducros et Natalia Dufraisse.
J'ai assisté hier à un moment de théâtre marquant comme ont pu l'être, dans leur temps, les premiers spectacles du Théâtre du Soleil. Certes, le résultat n'est pas parfait (mais sur 5 heures de spectacle on a forcément un peu de déchet). Néanmoins, on a affaire à un grand spectacle qui fera date. Un voyage extraordinaire et hors du temps.
C'est l'histoire d'un maire qui, pour des prétextes douteux d'épidémie, déclare l'état d'urgence dans son village et en ferme les portes aux entrées comme aux sorties. Un convoi qui transportait des porcs venant s'accidenter là fournira l'essentiel de l'alimentation locale. C'est l'histoire d'un tyran mais aussi de toutes les tyrannies passées et à venir.
Il y a d'abord le texte (mélangeant les improvisations des comédiens et l'écriture de Cédric David). La langue y est belle, ciselée et parvient même à faire passer une redondance assumée.
Il y a encore et surtout une troupe solide, étonnante, endurante, ébouriffante, douée qui dégage une envie et une abnégation qui mérite le plus grand respect.
Il y a enfin un metteur en scène Cédric David, qui n'en est pas à son coup d'essai et qui, fort de ses expèriences précédentes et de ses modèles (Ariane Mnouchkine ou le Théâtre de l'Est) ose une oeuvre audacieuse, puissante et incisive.
Toiles ocres arrimées à des mâts de bambou, la scénographie permet des ambiances multiples en utilisant les éclairages, les ombres et offre des images magnifiques comme celle d'un panier d'osier dansant sur des flots mordorés.
Quelque part entre Ubu roi, Shakespeare et Kusturica, l'histoire de ce maire, emporté par son despotisme et les dommages collatéraux crées par sa folie, est une grande épopée lyrique et flamboyante qui nous fait croiser des personnages inoubliables et alterne séquences chocs et moments de vie pour dessiner une fresque forte et corrosive sur une musique magique de Laurent Andrieu qui accompagne cette pièce en lui donnant un souffle romanesque et l'emporte vers la réussite.
Clowns, marionettes, film muet, grand-guignol, théâtre inter-actif : tous les genres sont mélangés pour produire une oeuvre truculente et poétique qui pose des vraies questions et nous interpelle au plus profond de nos consciences endormies par trop de "télévision paillettes".
Avec ce spectacle, le Théâtre des Egrégores (qui signifie : fées naines qui engendrent des géants) frappe un grand coup et, sans faire mouche à chaque fois, propose un spectacle enthousiasmant à l'intérieur duquel se cachent des scènes d'une perfection absolue.
Ce spectacle fleuve, même avec de la couenne dont on aurait pu se passer mais qui lui donne aussi son authenticité, est une oeuvre nécessaire. On a affaire à une création dense qui restitue au théâtre sa vocation première : être en résonance avec le monde et défendre des idées (tout en divertissant). Et ça, cette jeune compagnie le réussit fort bien.
Difficile de tenir concentré tout le long de cette épopée qui peut certainement gagner encore en percussion en resserrant les boulons par ci-par là, mais au delà, pour voir au moment du salut toute la troupe, exsangue et vidée, on comprend que le mot "engagement" prend ici tout son sens et on est heureux et fier d'avoir partagé avec eux cette expèrience là.
Un spectacle unique et les débuts d'une grande compagnie qu'il faut absolument aller applaudir. |