Trois ans après sa fracassante arrivée dans le paysage musical, qui se préoccupe encore de l’actualité de Devendra Banhart ?
En effet, la sortie le mois dernier de son cinquième album a suscité à peu près autant de remous sur le microcosme musical que l’augmentation salariale de Sarkozy sur l’opinion publique. En partie lâché par la base folk des débuts, objet de curiosité pour les autres, Devendra nage actuellement entre plusieurs publics …
Et pourtant, au sommet de sa créativité, le barde américain vient de lâcher avec Smokey Rolls Down Thunder Canyon un disque risquant de faire date. Certainement pas son meilleur mais clairement son plus ambitieux, son plus varié et son plus osé à ce jour. Inutile d’espérer un retour vers le magistral diptyque Rejoicing In The Hands / Niño Rojo, ce nouvel opus explore sans retenue les pistes découvertes sur Cripple Crow.
Ainsi, comme dégagé de toute pression, Devendra assume enfin au grand jour sa boulimie de styles et d’influences. Déjà en juin 2005 à la Cigale, il apparaissait à l’étroit dans un carcans folk trop restrictif compte tenu de son inventivité débordante. De prime abord, Smokey Rolls Down Thunder Canyon semble issu d’une époque révolue : seize titres pour soixante douze minutes, l’équivalent de quatre faces de vinyls !!
D’où n’émerge néanmoins aucun tube imparable. Confortant ainsi l’impression produite lors de son concert en août dernier à l’Européen où la quasi-intégralité de Smokey (…) avait été dévoilée dans une ambiance de répétition générale. Stabilisé depuis plusieurs tournées autour des mêmes musiciens (Noah Georgeson, Andy Cabic (Vetiver), Pete Newsom (le frère de Joanna), Greg Rogove …), le groupe de Devendra (Spiritual Bonerz) se présentait comme une entité unique où chaque membre ajoutait une poignée d’influences dans une sorte de melting-pot commun.
Sur cette dernière livraison, Devendra et ses acolytes entraînent l’auditeur dans une incroyable épopée à la découverte de leur continent américain, celui s’étalant du sud de la Californie jusqu’aux tréfonds de l’Amérique du Sud en passant par Cuba. Laquelle rappelle d’ailleurs étrangement les périples d’Ernesto Guevara à la fin des années 50.
Doit-on d’ailleurs déceler un clin d’œil avec l’apparition de Gael García Bernal - incarnant le Che dans le film "Carnets de Voyages" - sur "Cristobal". Plus inattendue sont par contre les participations de Chris Robinson ("Samba Vexillographica") ou de Nick Valensi ("Shabop Shalom").
Sur le fond, la tonalité s’avère particulièrement inspirée par la musique psychédélique. Qu’elle soit sous forte influence américaine (Doors en tête) sur "Tonada Yanomamista" ou "Rosa". Ou gorgée d’influences sud-américaines directement héritée de Santana, Os Mutantes - et son électron libre Caetano Veloso - sur "Carminsita" et "Samba Vexillographica".
Au rang des curiosités, on citera d’emblée "The Other Woman", tentative reggae fort convaincante ou encore l’hommage appuyé à Roy Orbison ("Shabop Shalom"). A la vingt-quatrième écoute, deux titres finissent par émerger du lot. L’épique "Sea Horse" tout d’abord, huit minutes au compteur, alternance de fulgurances guitaristiques et de passages intimistes, évoquant tout autant le "Oh Well" de Fleetwood Mac que le "(…) Between Clark & Hilldale" de Love.
Puis également une friandise inespérée, sublime balade folk en duo avec Vashti Bunyan, rappelant si nécessaire les extraordinaires qualités de songwriter du garçon. Seul bémol prévisible, l’absence de cohérence de l’ensemble, lequel apparaît plus comme un enchaînement de chansons que comme un album en tant que tel.
Enfin, vu le niveau général, il semble difficile de lui en tenir rigueur … |