Depuis 5 ans, le Théâtre du Soleil organise, sur l'initiative d'Ariane Mnouchkine sa directrice, un festival de troupes théâtrales le Festival Premiers pas qui consiste à prêter le lieu à plusieurs troupes pour leur permettre, comme l'indique le nom du festival, d'esquisse leur premiers pas dans cette structure de troupe.

Nous avons rencontré Alexandre Zloto qui en assure la direction artistique depuis la première édition et dont la troupe, le TAF Théâtre, s'occupe de l'encadrement des jeunes novices.

Quel était la finalité de ce festival et aujourd'hui avec 5 ans de recul, avez-vous atteint votre but premier ?

Alexandre Zloto : Nous y sommes parvenus effectivement après deux premières années un peu balbutiantes. En fait, au tout début, à l'origine, Ariane Mnouchkine avait décidé d'ouvrir son théâtre à de jeunes troupes avec comme modalités que chaque troupe devait jouer au moins 10 représentations et qu'elle récupérait toutes ses recettes. Ensuite, j'ai fait un peu évoluer l'idée en me disant que comme cela avait lieu au Théâtre du Soleil, avec cette idée d'exemplarité et la finalité de transmission, je me suis dit que c'était la première initiative pour faire cette transmission avec des enfants qui ne sont pas des enfants du Soleil.

Cela m'intéressait donc d'autant que cela rejoignait ma propre expérience qui était une frustration par rapport au manque d'espaces pour expérimenter la vie de troupe quand on avait envie de faire du théâtre et de le faire pas seulement par un parcours individuel mais par un travail en troupe. Ce festival a donc cette finalité et c'est la raison pour laquelle il est vraiment centré sur l'idée de troupe par rapport au lieu. Et puis nous essayons aussi de transmettre aux nouvelles générations l'idée du théâtre telle qu'elle a été et est défendue par le Théâtre du Soleil

La troupe connaît des engouements cycliques. En 1968 la troupe a trouvé une nouvelle réalité et 40 ans après on retrouve cette envie de travailler en troupe qui est une modalité un peu lourde d'exercice de ce métier difficule. N'est ce pas utopique aujourd'hui de vouloir travailler et réactiver selon cette formule par rapport aux difficultés du métier ?

Alexandre Zloto : Il ne s'agit pas de réactivation puisqu'il s'agit des troupes de 2007. Les difficultés de ce métier sont intemporelles puisque quand on lit Copeau c'était dur et quand on lit Molière c'était déjà dur . Le théâtre est un métier difficile et bien malin celui qui veut donner l'illusion que c'est un métier facile même si aujourd'hui c'est un peu dans l'air du temps. Il y a une forme de sacerdoce quand on choisit ce métier et cela de tous temps. L'idée de troupe n'est pas à concevoir en disant que c'est mieux ou moins bien qu'autre chose mais se dire que quand on aspire à faire ce métier on a donc un désir et qu'on puisse trouver ce qui correspond à ce désir.

Pour ma part, j'ai nourri mes rêves de théâtre avec Molière et les roulottes et j'avais envie de partager ce genre d'aventures. C'est ma façon de travailler, celle dans laquelle je me reconnais et dans laquelle je pense m'exprimer le mieux. Mais cela étant, il y a plein de manières différentes de faire du théâtre et d'extraordinaires spectacles et de mener des aventures théâtrales.

Après, sur l'idée de créer des troupes aujourd'hui, les gens ont envie de se regrouper pour partager une aventure collective et il n'y en a plus beaucoup qui sont possibles aujourd'hui. Alors est-ce la raison de ce petit renouveau de la troupe ? Dans l'aspect purement pratique du travail, je trouve qu'on va plus loin avec des gens qu'on connaît mieux. Cela étant, tout est bien sûr question de dosage car il ne faut pas que la troupe enferme parce qu'elle peut scléroser et à chacun de l'envisager à sa mesure. Personnellement je me suis reconnu dans ce lieu en tant que spectateur et ce qui m'a beaucoup marqué c'est leur aventure avec le public. Et je me suis dit que c'était vraiment à cela que devait ressembler le théâtre.

Il me semble que dans une troupe qui, en schématisant, à pour vocation d'avoir un jour sa maison, son lieu, ce sont les artistes qui forment l'équipe du lieu, ce qui pour moi créé un lien très particulier avec le public que l'on ne trouve pas dans une structure plus fonctionnarisée et compartimentée. La troupe est une structure particulière par rapport au public et le lien avec le public, qui est toujours fondamental, est aujourd'hui essentiel car nous perdons le public et la crise de 2003 a bien montré le fossé qui existait entre le public et les artistes. Ce qui est très grave.

Vous êtes le directeur artistique de ce festival qui s'est déroulé à deux reprises dans un autre lieu de la Cartoucherie, le Théâtre de l'Epée de Bois, depuis sa première édition.

Alexandre Zloto : Oui. Ce festival est un événement du Théâtre du Soleil qui a vocation à se dérouler dans l'enceinte du Soleil. La 1ère année, il s'est déroulé sous chapiteau car en raison d 'une annulation de tournée, le théâtre du Soleil jouait. Pendant deux années le théâtre de l'Epée de bBis a été sous tutelle du Théâtre du Soleil et donc cela explique pourquoi le festival s'y est déroulé. Le festival se déroule normalement au Théâtre du Soleil et ce qu'il a de particulier c'est ma troupe TAF Théâtre s'occupe de ce festival depuis le début c'est-à-dire que ses membres, qui sont des comédiens qui ont appris à être techniciens, relations publiques, etc, encadrent les troupes participantes.

Comment s'effectue la réception des candidatures et quels sont vos critères de choix pour sélection les troupes qui participeront à ce festival ?

Alexandre Zloto : Les critères sont de deux ordres. Nous nous donnons des critères pour le choix des troupes et ensuite la sélection résulte de la rencontre avec les troupes. Les critères sont bien évidemment pour un festival premiers pas le fait qu'il s'agisse de la première création, voire à la limite la 2ème, de gens qui rêvent de travailler en troupe à défaut d'en être déjà une c'est-à-dire qui se projettent selon cette modalité de travail. Une des spécificités de la sélection tient également à ce que nous choisissons plus une équipe qu'un spectacle. Ainsi je peux retenir une équipe même si le spectacle est encore maladroit dès lors qu'elle porte en germe quelque chose qui va grandir que je privilégie à un spectacle que je trouve formidable et dont je sens que l'équipe implosera dans un an.

Vous rencontrez ce dernier cas ?

Alexandre Zloto : Oui. J'ai rencontré Ariane Mnouchkine alors que je répétais un spectacle ici et je me suis demandé ce qui l'avait incité à nous encourager. Elle n'avait certainement pas vu le plus grand Macbeth de sa vie et j'ai réfléchi sur sa motivation qui tenait certainement au sentiment éprouvé sur notre devenir. J'essaie, à mon tour, de procéder ainsi car je pense qu'il est juste de prendre des risques dès lors qu'il s'agit de premiers pas et que les gens ont le droit à l'erreur. Le critère essentiel est donc de donner à naître à de jeunes troupes.

Je reçois des dossiers et comme nous avons peu de moyens, ce festival fonctionnant avec une économie très sobre, nous ne prospectons pas beaucoup en province ce que je regrette. Quand je constate qu'un dossier correspond à l'esprit de ce festival, je rencontre systématiquement l'équipe et je vois un extrait du travail que ce soit une répétition, une vidéo ou le spectacle et ensuite je discute avec l'ensemble des membres de la troupe. De là, je me forge une opinion. Car les troupes retenues vont faire fonctionner le lieu pendant six semaines, or il suffit d'une équipe pour compromettre l'ensemble du festival.

Vous décidez seul ?

Alexandre Zloto : La personne chargée de la coordination m'accompagne dans ces différentes étapes de sélection mais je décide seul en dernier ressort.

Effectuez-vous, d'une certaine manière, le suivi des troupes qui ont fait leurs premières armes dans ce festival ?

Alexandre Zloto : C'est très varié. Il y a des troupes dont nous n'avons plus jamais eu de nouvelles, d'autres ont continué leur chemin, une compagnie est programmée cette année à la Cité Internationale, une autre se retrouve à l'Athénée cette année également, deux troupes ont vu leur 2ème spectacle programmé au Théâtre du Soleil. Ce qui est très important est la création de réseaux entre les compagnies participantes qui sont amenées à travailler ensemble. Ainsi pour ma part ma troupe va travailler avec celle d'Hélène Cinque, la Compagnie L’instant d’une résonance, puisque cinq membres de Taf théâtre vont jouer dans son prochain spectacle.

Où réside la plus grosse difficulté pour ce festival ? La logistique, la médiatisation?

Alexandre Zloto : C'est l'aspect promotionnel du fait de l'absence de moyens suffisants. Il est vrai que le public est tout de suite venu mais la promotion est difficile parce que ce qu'il y a de plus précieux dans ce festival est invisible pour le public. C'est l'émulation qu'il crée ainsi que les rencontres aussi bien dans la cuisine que sur le plateau. Communiquer sur cela est plus compliqué. C'est la raison pour laquelle nous avons créé "la grande troupe" qui clôt le festival pour leur permettre de travailler ensemble sur l'artistique.

A la fin du festival vous faites un bilan ?

Alexandre Zloto : Je vois cela avec le metteur en scène. Mais la communication est importante pendant toute la durée du festival puisqu'il y a des plages hebdomadaires où tout le monde se retrouve pour débattre de tout, ce qui va et ce qui ne va pas. Par ailleurs, les troupes se retrouvent sur les différentes taches comme la cuisine où elles travaillent ensemble.

Cette édition n'étant pas terminée il paraît prématuré d'en tirer des conclusions mais êtes-vous déjà en réflexion sur la prochaine d'édition non pas en termes de programmation mais d'orientations ?

Alexandre Zloto : Nous aimerions développer l'aspect communication pour amener les professionnels et les acheteurs à venir assister à ce festival ce qui est un souci qui n'est d'ailleurs, et malheureusement, pas seulement le problème de Premiers pas. Ensuite, ce qui est intéressant, et que nous avons vu évoluer au fil des éditions, c'est la dimension pédagogique. Comme par exemple apprendre aux jeunes gens que le geste artistique réside également dans l'accueil du public.

Et j'ai constaté que nous-mêmes, avec cette expérience de 5 années, nous nous trouvions nous-mêmes dans un rapport de transmission avec de jeunes troupes alors que nous étions à leur place il y a 5 ans et que nous étions plus clairs dans nos propos. Ce qui est normal puisque nous avons 5 ans et eux 1 an. Il nous tient donc à cœur de poursuivre ce travail et de l'affiner.

Souhaitez-vous apporter d'autres précisions ?

Alexandre Zloto : Venez au festival Premiers pas !