Il s’agit en effet sur le papier de rien de moins qu’un mini-festival,
cinq groupes japonais répondant à l’appel. En vérité
à y regarder de plus près il s’agit des différents
avatars créatifs de seulement trois individus japonais : Kawabata
bien sûr leader spirituel et musical d’Acid Mother Temple,
Yoshida et Tsuyama (je vous passe les prénoms
par lisibilité). Ces cinq projets se suivront sans aucune pause sur la
scène militante de Mains d’œuvres ne laissant pas le temps
de reprendre son souffle et de voir se dissoudre cet esprit extrême-oriental
assez déglingué en tournée dans le vieux monde.
On commence par observer ce trio officier sous l’étiquette du
collectif Zubizuva X pour une potacherie a capella d’human
beat box basée sur la répétition de quelques mots en boucles
et interprêtés comme une composition totale. On nous propose ainsi
par exemple une visite éclair de l’Europe évoquée
par des noms de villes, un exercice minimaliste forcené et un brin casse
gueule, à vrai dire plus drôle qu’intéressant, en
tous cas un hors d’oeuvre sympathique d’introduction au "Festival"
. Les participants ne pourront en effet s’empêcher toutes les demi-heures
de nous souhaiter la bienvenue à ce "Japanese new music festival"
et en distillant toujours leur sens de l’exacerbation des émotions
et l’autodérision sans ego, mettant en valeur la présence
de la bonne humeur aussi bien dans le public que sur scène.
Ensuite Yoshida et Tsuyama se retrouvent pour un duo conceptuel nommé
Akaten. Des compositions autour de samples minimalistes de
fermetures éclairs, de brosse à dent, d’appareil photo ou
de rape à radis. On se place donc clairement dans la performance arty
sans complexe et là encore un brin régréssive. On voit
une résonnance avec le "Silencio !" du dernier Lynch,
et un remise en question amusante du rapport à la réalité
par nos sens trompeurs. Pour illustration une chanson sur le vin très
inspirée combinera un théatre de rue et la musique pour recréer
un univers virtuel. Avant d’avoir le temps de se lasser, on finira par
une improvisation libre autour d’interprétation de chants d’oiseaux
! Dans l’ensemble on prend peur que tout le festival ne suive cette orientation
plus en performance que musicale, tout en sachant bien que les têtes d’affiche
arrivent et constituent le noyau dur de la soirée.
Cette séquence la plus intéressante arrive ainsi avec Ruins.
On s’étonne assez vite, quand on sait que le groupe est un duo
basse batterie, de ne voir que Yoshida prendre place sur la scène : pour
ce concert (et pour des raisons indéterminées), celui-ci nous
délivre un solo de batterie par dessus les phrasés enregistrées
du bassiste absent physiquement. On oublie d’une oreille cet étonnement
pour se faire chahuter par les compositions forcenées du duo réduit
en solo, qui lorgnent autant du côté du noise-core que d’un
progressif expérimental, tout à tour frénétique
et hors de contrôle ou alors discipliné dans un carcan implacable
et terrassant.
Une démonstration détonnante qui ne masque pas la frustration
de voir le groupe dans une formation réduite et donc limitée dans
son interprétation malgré l’énergie avec laquelle
Yoshida se démène aussi bien au chant qu’à la batterie
pour nous interpeler. L’improvisation étant en effet réduit
à sa portion congrue à cause des bandes enregistrées autour
desquelles Yoshida ne peut s’évader. Il y a même à
vraie dire une forme de tromperie à annoncer un concert de Ruins dans
ces conditions, mais à l’heure où cet article est écrit,
les raisons de cet état de fait ne sont pas éclaircis (le bassiste
faisant logiquement partie de la tournée). La violence de Yoshida aura malgré largement nuancé cette déception,
tant qu’à faire on aurait préféré une présentation
du matériel solo de Yoshida.
Le projet suivant Zoofy centré sur la guitare multiforme
de Kawabata est décomposé en deux parties. Un premier long titre
improvisé malmené mais sans l’extrêmisme jusqu’au
boutiste d’Acid Mother Temple, dans une version plus tempérée
et nuancée, qui fait avancer la puissance dévastatrice cachée
de Kawabata et pour se permettre ainsi des ébats sporadiques fougueux
mais sans embrasement, un hymne incantatoire très réussi.
C’est cette partie qui constituera le meilleur moment, la deuxième
étant une reprise assez libre et allumée du lourdeau Smoke on
the water, la discotheque mythique de Kawabata est une caverne qui habite des
références assez éclectiques : du jazz extrême, de
l’improvisation libre, du psychédélisme en plein freak out
et aussi, donc, du hard rock bien baveux. Pas convaincu par ce énième
versant du personnage, par ailleurs physiquement fascinant aussi bien par l’expressivité
de son visage serein de Mongol atavique que par son non look improbable, un
créateur touche à tout à l’aise dans des domaines
très divers dont certains nous ont été présentés
à l’occasion de cette soirée.
La clôture de la soirée se fait sur Acid Mother Temple,
ce collectif étant par définition à géométrie
variable, la formation ici est assez différente de leur prestation de
2002. La musique principalement improvisée autour de quelques thèmes
prenant une forme totalement contrainte par les individus présents dans
le groupe (sans aller jusqu’à l’improvisation pure du Damo
Suzuki Network). Ainsi contrairement à leur démonstration
sonique et enflammée du Batofar un peu lassante à la longue, la
musique du AMT se fait beaucoup moins lourde en laissant beaucoup moins de place
aux seuls soli déchainés de Kawabata. Celui ci oscillant entre
des utilisations assez diverses de sa guitare mais sans se vouloir cette fois
ci démonstratif à l’écoeurement tout en conservant
cette puissance et énergie sans garde fou qui font la renommée
d’Acid Mother Temple depuis quelques années.
Ce psychédélisme ne cède pas aux paradis artificiels pour
proposer un voyage cosmique où chacun à sa place et où
les émotions sont à fleur de peau dans une communication sans
masturbation au sein du collectif artistique.
Belle démonstration malheureusement assez courte : l’effet festival
reprend ici ses droits pour écourter la soirée, pour conclure
sur un "au revoir" où on se demande quel coté de la
scène se moque de l’autre.
Le terme festival est bien sûr au final une plaisanterie des Japonais
pour nous offrir une soirée étonnante, dépaysante et ravigorante
à défaut d’être aussi passionnate que l’on aurait
pu s’y attendre, la brieveté des concerts et la demi ruine manquante
y étant pour quelque chose.
C’est trop bête vous auriez dû venir.
|