Février fut un rude mois pour Jean-Laurent Cochet qui, tel un vaisseau amiral, se devait d'être sur tous les fronts.
Car tout en étant sur la scène du Théâtre Pépinière-Opéra pour les représentations de "Aux deux colombes" de Sacha Guitry, il n'en continuait pas moins à dispenser ses cours à Paris, et en Vendée, et à assurer ses Master Classes bimensuelles tout en commençant les répétitions de "La Reine morte" qui sera à l'affiche du Théâtre 14 à compter du 4 mars 2008.
Il est aisé de deviner que son emploi du temps était chargé. L'entretien de février fut donc réalisé, de manière décalée, à la mi-mars. Un entretien qui tourne autour de son cours public d'interprétation dramatique et qui se présente comme un petit Jean-Laurent Cochet illustré par lui-même.
Pour cet entretien, j'ai relevé, au cours de vos dernières master classes, quelques phrases, principes ou citations, qui constituent, en quelque sorte, ce qu'on nomme aujourd'hui des "fondamentaux" de votre conception du théâtre et du métier de comédien, et que je vous propose d'éclairer de quelque commentaire. Ainsi "Le génie c'est la maîtrise du théâtre dans ses limites et ses techniques".
Jean-Laurent Cochet : Cela concerne essentiellement l'auteur puisque l'interprète est censé ne pas être génial n'étant pas créateur. L'interprète prend la place du créateur pour travailler ses personnages. Et il lui faut trouver sa liberté au milieu des contraintes.
"Faire du théâtre pour avoir une petite fenêtre ouverte sur l'indicible avant la renaissance".
Jean-Laurent Cochet : C'est le seul moyen, la traduction de la proposition qui nous est faite d'essayer, dès ici-bas, comme on dit, d'avoir un aperçu sur cet inconcevable dont on sent, aidé en cela par ce métier, que c'est une réalité à venir. C'est absolument remonter à a la source, comme dit si bien Haldas, quand on travaille une fable pour arriver à la chute on remonte à la source de ce qui nous a donné envie de raconter l'histoire. C'est pareil avec un personnage, on remonte à la naissance pour préparer cette seconde naissance qu'est le passage.
"En marge de ce que l'on croit être la vie et qui n'est que l'existence".
Jean-Laurent Cochet : On pourrait dire ce qui a fait couler tellement d'encre, l'existence et l'essence. Pour moi, c'est ainsi que je l'ai compris à travers ceux qui savaient me transmettre et j'ai tellement compris que j'y ai adhéré. C'est le fil conducteur de toute ma vie. Je vis ici puisqu'on m'a créé ici, j'existe, je suis le temps de ce passage terrestre et la vie, Jean Guitton avait trouvé le moyen d'en parler, du moins de l'écrire : la vie avec une minuscule pour parler de la vie qui est la nôtre avant d'en arriver à la vie avec un V majuscule.
"Le temps détruit toujours ce qu'on a fait sans lui".
Jean-Laurent Cochet : Je cherche de qui est ce vers. Ce pourrait d'être de Corneille, du moins de son époque. Ce pourrait être aussi un bon vers de François Coppée parmi tous les mauvais. Ce que je trouve admirable est que cette phrase veut dire non seulement "prends ton temps" mais "si tu ne le prends pas c'est lui qui te rattrapera au tournant". Il y a aussi dans Ronsard quand il s'adresse à une dame en lui disant "dépêche-toi, dépêche-toi avant d'être décrépite, viens dans mes bras" car "Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame ; Las ! Le temps, non, mais nous, nous en allons". Et si on s'en va sans que ce soit sur le rythme du temps, c'est à dire celui de notre respiration la plus profonde, et bien nous allons d'un côté et la vie d'un autre.
Arrivez-vous à composer avec le temps vous qui de l'extérieur avez un emploi du temps qui paraît inconciliable avec les 24 heures d'une journée ?
Jean-Laurent Cochet : Oui. La réponse qui me vient est, ne parlons que de la journée, parce que cette journée je la prévois de manière à ce que, quand je l'élabore, je ne fasse pas qu'accumuler des actes, disons des actions. Je laisse toujours des plages pour m'asseoir sur un banc et rêver un peu, des moments où je pourrai lire, et cela est encore un enrichissement, si bien que mon emploi du temps est plein mais pas bourré comme on dit d'une valise qui en contient trop. J'essaye d'équilibrer le possible et ce qui, quelquefois, n'est pas forcément imaginable.
"Il y a des scènes où parler juste c'est parler faux " et lors d'une master classe un élève vous a présenté le texte d'une chanson, "Là où il faut chanter il faut parler et inversement". Sans doute notamment parce que vous êtes musicien ?
Jean-Laurent Cochet : Oui beaucoup. Pour moi, tout est musique. Non seulement dans les indications, mais aussi dans les impressions, dans les sensations, dans l'écoute, la provenance de quelqu'un. Le ton est lié à la musique, à cette science des sons, si je puis dire, l'expression naturelle comme le chant d'un oiseau, la voix humaine, et à plus forte raison quand c'est codifié par des gens qui ne se contentent pas de faire du marteau piqueur. L'univers mis en mesure, l'univers retrouvé à travers le cheminement de ce que fredonne l'auteur avant de l'écrire, c'est tout notre métier.
Sinon, on s'en tient à la brochure. La brochure c'est le code que nous donne l'auteur, qu'il écrit avec son style, et c'est sublime ou pauvre, mais on fait entendre en écho le texte de l'auteur après être passé par notre musique. Tout est musique et c'est la raison pour laquelle, quand on dit le texte d'une chanson, il ne faut pas chercher à la cadencer comme si on la chantait, mais il faut savoir que si la musique faisait corps avec le texte il ne faut pas chercher à parler banal. Cela dépend de l'auteur. Et puis, il y a le contraire, qui est de savoir ajouter une musique à des mots ; mais il s'agit de la musique de la pensée, de la musique de l'âme.
Et pour finir sur une note gaie… "Les acteurs qui jouent 1, 2, 3 soleil".
Jean-Laurent Cochet : (Rires). Je ne sais pas si cela parle à tout le monde comme à moi mais, quand j'étais petit , je trouvais ce jeu tellement "con", d'être là complètement vide et puis tout d'un coup tressaillir. C'est le cas de tous les acteurs qui ne pensent pas, qui n'écoutent pas, et qui s'agitent comme des machines délabrées. J'emploie souvent cette expression, encore ce matin au cours, mais je ne sais pas si cela évoque encore quelque chose pour les gens.
Cette expression est toujours d'actualité !
Jean-Laurent Cochet : Et bien, il y a au moins cela qui n'a pas changé ! |