Comédie dramatique de Marguerite Duras, mise en scène de Jean-Luc Mingot, avec Monique Darpy et Aïcha Finance.
"Savannah Bay" commence sur un couplet de la chanson "Les mots d'amour" de Michel Rivegauche et Charles Dumont immortalisée par Edith Piaf. C'est fou c'que je peux t'aimer, Si tu partais c'est sûr que j'en mourrais d'amour... l'amour et les mots.
Deux femmes évoquent une absente, une enfant, une adorée, morte d'amour, d'un trop plein d'amour.
Marguerite Duras voulait cerner, à défaut d'atteindre l'indicible, l'amour par les mots, appréhender cette énergie vitale essentielle à l'homme et fondement de toute création artistique. De cette pièce inspirée par et écrite pour Madeleine Renaud, qui la joua avec Bulle Ogier, elle disait : "Je pense que c’est une pièce sans personnage.... Mon rôle ici est de rendre compte de ce qu’est un amour".
Mais il y a également la célébration du théâtre, la vieille femme a été comédienne et dans leur narration les deux femmes mettent en scène une histoire, celle de la jeune accouchée morte, et la quête identitaire de la jeune femme à travers la mère qui se s'achève par un matricide symbolique pour être soi, enfin.
Dès les premiers instants, le spectateur est envouté par cette musique durassienne que Jean-Luc Mingot a su invoquer dans une mise en scène rigoureuse, comme celle conçue pour "Le viol de Lucrèce" de Shakespeare, monté dans ce même Théâtre du Nord-Ouest en 2007, totalement au service de l'écriture de l'auteur. Pas d'artifice, pas de décor, pas de "revisitation", pour porter la thématique fondamentale de "la banalité inépuisable, inépuisée" que la partition de Duras transcende.
Sur le drastique plateau noir et nu de la grande salle du Théâtre du Nord-Ouest, deux comédiennes à la silhouette menue et fragile, à la présence intense, au regard tourné vers un au-delà les mots, apparaissent et disparaissent comme convoquées par une mémoire médiumnique.
Monique Darpy, très sobre, corps crépusculaire, esprit chavirant, est celle qui fut présente, qui peut se souvenir et dire, instrumentalisée par une jeune femme incandescente. Aïcha Finance, subtile comédienne, manifeste une belle capacité d'incarnation d'un verbe en creux, entre la musique et le silence. |