Un grand-père vétérinaire, des vacances en Bretagne, un service dans l'artillerie pendant la première guerre mondiale, des études en sciences avec une spécialisation dans l'optique et l'étude des couleurs, voilà les éléments qui détermineront l'iconographie et la palette du peintre autodidacte que fut Charles Lapicque.
Après l'émission d'un timbre reproduisant une des toiles ("Vent arrière" de sa série Régates) en 1988, après son décès, le Musée de la Poste, commémore le vingtième anniversaire de sa mort avec une exposition rétrospective organisée sous le commissariat de Josette Rasle.
Des cimaises blanches s'imposaient au scénographe Patrick Bleau pour l'accrochage des toiles d'un artiste dont l'œuvre reconnue, mais encore relativement ignorée du grand public contemporain, compte notamment parmi les influences de la Figuration libre et des fondateurs du mouvement Cobra, se caractérise par la stridence des couleurs et l'affrontement harmonieux des rythmes.
Abstraction, bouillonnement baroque et sérénité
Commençant par le cubisme, Charles Lapicque s'est peu à peu libéré des contraintes techniques de la composition abstraite, de la série des "Ossatures bleues".
Substituant les entrelacs aux droites, il aborde la figuration.
Peintre du mouvement et de la couleur, il applique, et expérimente, sur sa peinture qui reste très émotionnelle ses connaissances techniques en matière d'optique, telle la vision binoculaire, et de colorimétrie.
Ses compositions à perspectives multiples et son emploi de la couleur font de ses peintures des oeuvres à regarder à la "bonne distance".
C'est-à-dire à une certaine distance pour que l'œil ordonnance les volutes colorés et distingue les formes et les détails qui foisonnent, ciel, eau, terre et végétation, statues ou maisons s'épanouissant en une harmonie fusionnelle.
Un abstrait fauve
Il restitue l'impression reçue, non par une image, mais par la symphonie de couleurs qui le rapproche des Fauves : une peinture d'émotions restituées par la sarabande subtile et travaillée des couleurs.
Chez Lapicque, la Bretagne vouée aux tonalités bleues se transforme en paysage exaltant de couleurs à la végétation exubérante presque tropicale ("Vallon en Bretagne") si n'était la trace de la civilisation ("Le chemin de fer de Paimpol").
Peintre de la figuration gestuelle
Si "La Piéta" au traitement proche d'un Rouault, "Danse macabre" ou le "Crépuscule en banlieue" sont plus sombres et s'il traite de sujets plus graves comme "L'attaque du Sénat par la division Leclerc" ou "Jeanne d'Arc traversant la Loire", ses sujets de prédilection, qu’il traite en séries, sont ceux qui s'imposent à lui au cours de sa vie et de sa vie, de ses activités et de ses voyages.
Peu de portraits, peu de natures mortes, mais le paysage et la nature dans lesquels, parfois, surgissent des scènes de genre historiques ou contemporaines ("Avant le triomphe", "L'embarquement pour Cythère", "Le saut de la rivière", "Manoeuvres de nuit sur le Pimodan")
Les toiles de sa période baroque, dont les séries vénitiennes et romaines, sont les plus emblématiques et les plus jubilatoires pour l’œil et l’esprit. L'Antiquité lui inspire des toiles qui incitent aux plaisirs galants sur les collines romaines et dans les atriums des villas ("Fantaisie baroque", "L'invitation au bonheur").
Les anges purpurins aux ailes frémissantes sur la piste d'envol du "Fronton des Gesuiti" paraissent impatients de décoller pour une assomption céleste, le "Crépuscule dur le Lido" transforme la lagune en champ d'éoliennes bleutées, "La nuit vénitienne" est peuplée d'anges humains et "Le coucher de soleil sur la Giudecca" enflamme le ciel et l'eau de mille couleurs.
Ses dernières toiles où ne subsistent que des plages de couleur attestent d'un aboutissement serein à l'image des toiles où la mer est rendue par des aplats de trois couleurs ("La mer").
L'exposition inclut également un cabinet de dessins présentant l'œuvre graphique de Charles Lapicque dont le trait est proche de celui de Picasso.
Un artiste à découvrir absolument. |