Pour la sortie de son nouvel album Casino, Arman Méliès était en concert deux soirs au Divan du monde.
Mercredi 14 mai : premier soir.
Arman Méliès ne sera jamais une star et c’est bien tout le mal que l’on peut lui souhaiter.
Entendre au supermarché alors que l’on erre dans les allées d’un hard discount, à la station service alors que l’on s’interroge sur la spéculation pétrolière, dans un ascenseur, chez le coiffeur ou ailleurs, "Mille fois par jour" ou "Diva" ... cela n’est pas fait pour lui. Tout comme il semble bien improbable de se retrouver nez à nez avec un Méliès géant en carton dans le hall d’un supermarché culturel. Le bonhomme n’a pas l’étoffe de ces héros-là et ce n’est peut être pas plus mal.
Je vous livre l’état de mes réflexions au moment où je quitte le Divan du monde le concert tout juste terminé.
La dernière note de musique éteinte, les choses n’ont pas traîné. Quelques applaudissements rapidement expédiés, les lumières de la salle se sont rallumées. Les irréductibles, une trentaine de personnes qui ont écouté l’intégralité du concert assis par terre, se sont levés ; pour les autres, au choix : un stand de merchandising, étrangement placé en dehors de l’axe de circulation du public, le bar du Divan aux prix qui tapent un peu (8 euros la pinte) ou la sortie pour une cigarette bien méritée ...
Sensation étrange. Comme si ce que l’on venait d’entendre n’avait pas laissé de traces. C’est fini, on plie les gaules, on passe à autre chose. Ce serait-on ennuyé ?
Tout bien réfléchi, je crois que monsieur Méliès s’est livré avec nous, public, à un étrange petit jeu. Plutôt que de faire sa star à grands renforts de poses complaisantes, d’attitudes dictées par la lecture du petit manuel de la parfaite pop star ou de phrases interminables façon "je chante en français et suis un peu poète", Arman s’est livré à l’exercice complexe de nous emmener dans son univers. Progressivement, il nous a guidé, séduit, charmé pour nous conduire vers une sorte de séance collective d’hypnose musicale. Voilà sûrement pourquoi le réveil a semblé lent et silencieux.
Tiraillés entre pop et chanson, Méliès et sa bande, nous ont, en 17 morceaux, pris par la main et promenés dans leur univers aux mélodies hypnotiques et envoûtantes.
Mais reprenons.
Pour la mise en bouche, la première partie est assurée par Arlt. Un grand garçon aux joues mangées par d’énormes rouflaquettes rock’n’roll d’un autre temps et une jeune fille brune filiforme vêtue d’une robe noire et de chaussettes à rayures.
Une guitare, deux voix pour un concert de chansons d’amours. Chansons un peu bancales, presque surréalistes. Une charmante désinvolture poétique se dégage de ce duo étrange. Les yeux fermés on pourrait croire de lui qu’il est le frère de Bertrand Belin tant sa voix à des intonations .... D’elle, dont la voix fluette se joue de vocalises, qu’elle serait la cousine de Brigitte Fontaine et de Laetitia Sadier chanteuse du groupe Stereolab.
La guitare demi-caisse dont il apprivoise les cordes par de petits pincements, évolue entre mélodies folk et blues. Les mots évoquent, à limite de l’absurde, l’amour : "de honte, je n’ai plus mangé que de la terre et bu l’eau de pluie" ; "c’est toi mon premier périscope" ; "l’amour, c’est un os" . Ce duo charme la maigre assistance (une cinquantaine de personnes assises par terre) de son audace et de sa personnalité. Leur mini-concert se terminera par une chanson paillarde revisitée où la guitare semble à chaque instant devoir se casser la gueule. "adieu nos amourettes, je n’irai plus aux champs (chant ?)".
Changement de plateau ultrarapide. Parmi les techniciens et musiciens qui s’affairent, Arman Méliès vient lui-même préparer son matériel. Pas de réaction du public. Personne ne semble le reconnaître. Peut-être son charisme se situe là, dans cette distance respectueuse.
Entre temps, l’assistance s’est bien étoffée.
Dans une ambiance tamisée où les projecteurs dessinent des formes à l’aide de la fumée qu’une machine enverra en permanence pendant tout le concert, Méliès et son groupe entrent sur scène pour une intro musicale ; nappes de guitares pop.
Arman Méliès, chemise grise et gilet, porte la cravate. Il est au centre, une guitare demi-caisse Gretsch de couleur orange au cou. A sa gauche un guitariste chemise rouge et lunettes aux montures noires. En fond de scène, de droite à gauche, le batteur au jeu précis et tout en subtilité, une section cuivres de trois garçons chemises rouges et costumes sombres (deux trombones à coulisses encadrant une trompette) et l’homme claviers qui se voit attribuer le rôle de bassiste avec ses machines.
Basse et batterie charpenteront cette musique ; notes rondes, graves et ronflantes accompagnées de rythmes aériens, précis et entraînants, sur lesquels comme en apesanteur, viendront se poser guitares, cuivres et voix.
Méliès et son groupe joue une musique pop arrangée, dense et subtile. On sent en lui l’orchestrateur, le compositeur au service de l’ensemble, du grand tout, tant il semble à l’écoute de ses musiciens et tant il fuit la lumière d’ordinaire réservée au leader.
Du concert, sauf à s’approcher à une distance presque dangereuse de la scène, on distinguera à peine le visage d’Arman. Les lumières violettes, bleues, tout en contre, offre à notre regard des formes plus que des personnes. L’échange entre lui et nous est musical avant d’être visuel. Il semble vouloir ainsi nous montrer combien sa pop indé peut être belle en elle-même, sans artifices spectaculaires.
De longues plages de guitares, presque dissonantes. Arman Méliès s’est nourri à l’indie, la noisy ; ses références sont anglaises, c’est sûr ! Recroquevillé, sur cette guitare qu’il ne lâchera pas, dans une posture très shoegazing, il gratte frénétiquement (morceaux "Fuir" , "San Andreas" , "Le soupir du monde" ).
Sa voix n’est pas très puissante à moins qu’il n’ait pris le parti d’en faire un instrument parmi les autres, de ne pas la mettre à tout pris très en avant. Sa façon de dire les choses ? Maturité ? Volonté de murmurer plus que de forcer le trait ? Les chansons sont presque impressionnistes. On saisit çà et là des mots, des phrases qui composent un puzzle, un ensemble. On sait qu’il nous dit des choses belles, profondes, étranges et mélancoliques. A nous de faire l’effort, de recomposer ... le puzzle.
"nos folies sous cloches, sommes nous plus sages, plus dociles ?" ; "tout accoudés aux soupirs du monde ... nous tenterons d’effacer nos fautes" ...
Je dois m’absenter aux toilettes d’où j’entends le public réclamer "le pas de danse" ?!!?.. lui de répondre "le pas de danse eighties" et d’enchaîner par une version très personnelle "d’Amoureux solitaires" que Lio nous a longtemps laissé croire être une petite sucrerie eighties aux accents vaguement new-wave. Quel erreur !! Dans une reprise où les cuivres semblent avoir biberonné du Sigur Ros, Méliès nous livre le texte dans toute son âpreté, sa cruauté, qui nous renvoient à nos solitudes : "et toi dis-moi que tu m’aimes, même si c’est un mensonge et qu’on a pas une chance ... afin que nos vies aient l’air parfaites". Réjouissant !
Joseph d’Anvers avec qui Arman Méliès a bossé sur le dernier disque de Bashung vient prêter sa voix et son harmonica pour un duo.
Avant d’enchaîner "Papier Carbone" , Méliès remercie Seb au son. Je me suis rarement surpris à applaudir autant le type derrière la console. Mais là ... chapeau mec ! Son beau, propre, cohérent, global où l’on entend aussi bien une guitare au son distordue, qu’un cuivre en sourdine, une cymbale qu’un harmonica. Ce type-là joue un rôle d’architecte ... L’hypnose musicale requiert des compétences !
Rappel. Arman resté seul, s’accroupit pour jouer avec ses pédales de guitare puis, debout, se livre à un solo de guitare hiératique : quelques notes posées ça et là, en suspens au dessus du vide ...
Deuxième rappel. Méliès s’offre quelques secondes de déconcentration. Il blague, soulagé de la réussite du tour qu’il vient de nous jouer ? "c’est le rappel du rappel, tout ça est improvisé" ....
Bien loin de l’improvisation en fait, nous avons assisté à un concert qui ne supporte pas l’à peu près. Arman Méliès nous a guidé, en maître de cérémonie élégant et subtil, dans les dédales, les sinuosités de sa musique pop aux mélodies hypnotiques.
Je suis curieux de savoir si le sortilège se reproduirait lors d’un deuxième concert, sans l’effet de surprise ...
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