A la mémoire de Joël Receveur.
Moi, quand j’étais petit, je sifflais du Bach et du Mozart pour aller à l’école. Et à part ça mes parents faisaient comme si j’étais pas surdoué, les enculés.
Génie divin pourrait être le cri de révolte contre la domination du pouvoir dans notre société. Guillaume Dustan refuse les normes bourgeoises, et cela, au profit de nouvelles valeurs représentées par la jeunesse. Il s’agit de créer une société plus juste, mais surtout plus libre. D’où ce besoin de légaliser, par exemple, l’ensemble des drogues.
Dustan cherche, en effet, à échapper au réel. Il est un idéaliste: voyant le monde futur calqué à son image (Dustan est homosexuel), il apparaît comme un métaphysicien de par sa quête impossible de l’idée. La vieille opposition entre maître et esclave s’appliquant à la sexualité entre homme et femme, il faut rejeter le vieux système de l‘hétérosexualité en le remplaçant, d’après Dustan, par l’homosexualité en tant que seul modèle viable. De cette façon, il n’y aura plus de soumission de la femme par rapport à l’homme. La différence sexuelle doit laisser place à la non distinction, c’est-à-dire au même.
Si j’ose dire, Guillaume Dustan se fait en quelque sorte l’avocat du diable. Il se proclame eugéniste : les hommes doivent être beaux et supérieurement intelligents. Lors d’une interview accordée à Bret Easton Ellis et reproduite dans Génie divin, l’on constate que la vision de Dustan s’oppose radicalement à celle de l’écrivain américain. Alors que Ellis critique la société américaine dans laquelle prédomine la recherche factice de la beauté et du renom, Dustan, lui, ne retient justement d’une œuvre comme Glamorama que la nécessité d’être beau, riche et célèbre (plus loin dans son livre, il déclare, non sans humour, que Madonna demeure la personnalité politique la plus importante au monde!).
Avec un certain goût pour la provocation, il se déclare aussi contre le port du préservatif. Dans son livre, il reprend un article paru dans le journal Libération,et au titre significatif (La capote n’a jamais existé).
Or, si l’on suit bien l’argumentation de Guillaume Dustan développée dans cet article ainsi que dans d’autres, et tout au long de cet ouvrage , l’auteur se veut avant tout moraliste : … la responsabilité, c’est pour soi, pas pour les autres.Parce qu’il s’agit bien d’une question morale sous-jacente à ce qui ne semble être qu’une polémique sans importance : … être séropo ça redouble la condition humaine, la condition humaine c’est savoir qu’on va mourir, sauf que quand tu es séropo, tu sais vraiment que tu vas mourir, tu n’oublies pas que tu vas mourir.Étant porteur du virus du sida, Dustan ne veut absolument pas contaminer d’autres personnes ; il souhaite vivre sa sexualité sans cette culpabilité d’être un assassin en puissance, un danger pour les autres qu’il faut donc contrôler, contraindre et réprimer. En conséquence, l’auteur réhabilite moralement l’individualisme en tant que seul moyen pour l’homme de vivre heureux. L’altruisme défendu par des philosophes comme Arthur Schopenhauer et Moritz Schlick, est, pour Dustan, non dépourvu de cette tentation de dominer l’autre, de dire ce qui est bien pour lui.
Toutefois, même si Dustan ressasse dans Génie divin ses opinions, il n’en demeure pas moins conscient de ce que celles-ci ont de chimérique. Il y a tout d’abord le sida, maladie qui finira bien par l’anéantir, le détruire, bref, la certitude d’une mort prochaine. Puis, il y a ce temps qui défile inexorablement : au moment d’écrire Génie divin, Guillaume Dustan a trente-cinq ans, et il sait bien que sa jeunesse appartient définitivement au passé. L’auteur se refuse quand même à cette situation. Il a, par l’écriture de Génie divin, ce dernier sursaut de vitalité.
Génie divin est une œuvre tout à fait libre. Oui, plus le temps de réfléchir. Il faut revivre une dernière fois par l’accomplissement de l’œuvre d’art. D’où l’introduction du langage parlé, l’invention de néologismes, l’emploi de l’anglais, et surtout l’éclatement d’un ouvrage dans lequel s’accumulent sans ordre les interviews délirantes, les articles publiés dans la presse, les souvenirs, et enfin, des listes de noms, de mots, de phrases, paraissant révéler la plus complète incohérence chez l’auteur :
hi
christophevix
trash2000
bogue3000
etnoyeuxjoël
favricehybert
yvonlambert
agnès
bises
paris
méphisto
onvafaireunefête
d’enfer
Malgré le semblant de facilité, le style imparfait, Guillaume Dustan cherche à faire de son livre un lieu où l’expérimentation littéraire reste obligatoire, nécessaire. Son rôle en tant que directeur de la collection "Le rayon" chez Balland lui permet de s’inspirer des idées purement stylistiques développées par les auteurs qu’il publie. Dustan profite de ses activités éditoriales, et, d’ailleurs, il ne s’en cache guère. Répondant, dans Génie Divin, à la question de Valérie Zerguine sur l’influence du travail d’éditeur sur sa propre créativité, Guillaume Dustan lui déclare crânement : … Je parente (c’est-à-dire que j‘essaye de ne pas les niquer). Et puis, je leur pique toutes leurs idées. Et comme ce sont les meilleurs, je peux vous dire : elles sont bonnes.
Il y a, chez l’auteur, cet usage permanent de l’humour. Génie Divin fait penser à une opérette dans laquelle légèreté et manque de sérieux sont de mise, comme dans L’étoile du compositeur Chabrier, ou encore Pas sur la bouche de Maurice Yvain. Cependant, derrière le rire, apparaît le sarcasme de l’être humain angoissé, hurlant sa douleur devant le ridicule de l’existence.
Refusant le présent comme révélateur de sa vieillesse corporelle et de la mort qui peu à peu se rapproche, Dustan se tourne une dernière fois vers son passé d’être jeune et surtout "vivant" : le temps n’existe plus ; il s’est arrêté pour laisser place à un monologue intérieur, une recherche visant rien de moins qu’au changement impossible. Par conséquent, en refermant ce livre, avons-nous le sentiment d’une débauche extrême de la vie le désir d’une liberté totale, un individualisme confinant à l’absolu. Et c’est ce qui fait la beauté d’une œuvre telle que Génie divin.
Guillaume Dustan est mort le 3 octobre 2005. |