La
saison 2007-2008 des Cours Publics
d'Interprétation Dramatique de Jean-Laurent
Cochet s'est achevée début juin. Celle
de 2008-2009 a démarré sur les chapeaux de roue
le 6 octobre et pas moins de six Master
Classes se dérouleront d'ici Noël.
Il est donc temps de reprendre nos entretiens à bâtons
rompus avec Jean-Laurent Cochet dont les thèmes sont
dictés par ces Master Classes.
Mais auparavant, il était indispensable de faire un
tour d'horizon - intéressé - de l'été
d'un homme épris de son travail et de son métier
qui n'est jamais à court de projets.
L'été de Jean-Laurent Cochet
Il s'est écoulé plusieurs mois
depuis notre dernier entretien qui s'est déroulé
en juin 2008. Et vos auditeurs et spectateurs, comme moi-même,
sommes intéressés de savoir comment s'est passé
votre été.
Jean-Laurent Cochet : Il s'est très très bien
passé. Il a été avant tout marqué
par les représentations de "Aux deux colombes"
en festival : au Festival de Sisteron, au Festival de Terre-Neuve
et au Festival de Fréjus avec Marcelline Collard qui
reprenait le rôle de Virginie Pradal qui ne pouvait assurer
la tournée. Ce qui est extraordinaire, c'est que cette
pièce intimiste a été jouée en plein
air, certes un peu sonorisé, mais nous sommes des comédiens
donc nous savons nous faire entendre. A Sisteron, nous avons
joué devant 700 personnes enchantées et manifestant
leur joie, à Fréjus, où les arènes
sont encore plus difficiles au niveau acoustique, devant 1 100
personnes, puis devant 500 personnes devant le magnifique Château
de Terre-Neuve en Vendée.
Les vacances sont pour vous des moments de repos mais vous
n'êtes jamais en vacances de tout. Ont-elles donc été
studieuses et porteuses de projets ?
Jean-Laurent Cochet : Etre totalement en vacances
est une chose rare en ce qui me concerne mais, ce qui a été
bien cet été, est que, ne voulant pas me retrouver
avec du monde, je suis resté à Paris où
les mois d'été sont très agréables
car il y a moins de monde ; on peut marcher tranquille, on respire
mieux et cela m'a permis d'aller beaucoup au cinéma.
Car, contrairement à ce qui se passe les autres années,
il y a eu énormément de bons films qui sont sortis
cet été. Cela m'a permis également de continuer
à lire beaucoup et de m'avancer un peu dans mes projets
de la saison prochaine.
Les représentations de "Aux deux
colombes" vont se poursuivre en tournée jusqu'à
fin mars 2009 avec beaucoup de temps passé à Paris.
Le 8 décembre 2008 se déroulera une Master classe
très particulière qui se déroulera le soir
à 20 heures,à la Pépinière théâtre,
et qui sera, non pas une audition, car je n'aime pas beaucoup
convoquer les gens du métier, qui, souvent, ne viennent
pas, pour faire passer des élèves comme du bachotage,
scène de ceci ou de cela par Madame Trucmuche ou Monsieur
Schmoll.
Ce sera un cours public mais destiné
à faire entendre et connaître au public, et aux
professionnels qui viendront sous la houlette de mon agent Laurent
Grégoire, ce qui se fait comme travail à mon cours
et, surtout, ce qui se fait sur le plan des personnalités.
Car il y en a de plus en plus et, d'ores et déjà,
la cuvée de septembre nous révèle des gens
absolument remarquables par leur esprit d'abord, par leurs qualités,
par leur travail, par leur physique. Tout cela est plus florissant
! Ce cours ne devient pas submergeant mais presque et il faut
multiplier les lieux, les jours et les heures pour dispenser
les cours.
Se dessinent également déjà
les projets pour les festivals de l'été 2009 avec
la création d'un festival à Condom d'une ancienne
élève à moi, une comédienne merveilleuse
qui s'appelle Catherine Morin. Elle y crée un festival
qu'elle veut me dédier et je pense que nous aurons la
présence de Laurent Gerra, de Fabrice Lucchini, peut-être,
pour que je sois entouré de ceux que j'admire le plus,
et moi-même je donnerai sans doute "La reine morte"
et, peut-être, mon spectacle intitulé "Carte
blanche" où je raconte mes histoires de théâtre.
Ce dernier spectacle sera aussi à l'affiche du Festival
de Terre-Neuve. Il y a également un projet au Château
de Josselin.
Et puis, Arnaud Denis, qui est un ancien élève
que j'aime tant, avec qui nous avions le projet de travailler
ensemble, et moi celui d'être dirigé par lui, c'est
ce qui m'amuse surtout, pour le festival d'Anjou, et peut-être
pour d'autres lieux, va mettre en scène "Les femmes
savantes" et il m'a demandé de jouer Philaminte.
A l'époque de Poquelin ce rôle avait été
créé par une femme et puis Vilar l'avait fait
jouer par Georges Wilson, ce qui était très mauvais
et il vaut mieux que je l'oublie.
Cela m'amuse beaucoup parce qu'il ne s'agit
pas de faire une composition, ni une caricature, surtout pas
: c'est un personnage qui n'a rien de grotesque si ce n'est
que c'est elle qui mène la maison, son mari s'est un
peu effacé devant elle, donc c'est un peu irrévérencieux
mais pas étonnant qu'un homme joue ce rôle. Nous
verrons comment cela se présente donc devant ce public
avant de le jouer à Paris.
Enfin,
je prépare également, mais sans que l'on puisse
en connaître déjà les dates, ce serait au
plus tôt pour janvier 2010, une reprise d'un Guitry que
j'avais, j'allais dire "créé" mais il
est vrai que celui-là aussi n'avait jamais été
rejoué depuis sa création. Il s'agit de "Tu
m'as sauvé la vie" où je reprendrai mon rôle
avec quelques-uns des comédiens qui m'entouraient et,
dans le rôle du clochard qu'avait créé Fernandel,
je pense que ce serait Jean-Pierre Castaldi qui a été
un de mes tous premiers élèves.
En janvier 2009, ce sera très beau et
très intéressant, nous ferons quelques représentations
dans le merveilleux Musée Gustave Moreau avec Pierre
Delavène, Marina Cristalle, Axel Blind, William Beaudenon
et Olivier Leymarie, de notre spectacle "Quand La Fontaine
nous est conté" qui sera un peu reconsidéré
pour y glisser certaines des fables qui ont été
illustrées par Gustave Moreau et pour que le spectacle
lui soit plus spécialement dédié.
Que dire encore ? Ah, ce qui me fera un énorme
plaisir, et qui sortira en décembre ou en janvier, chez
le merveilleux éditeur Bernard de Fallois, le texte original
de Guitry que nous avons déniché avec Pierre Delavène
et porté à la scène sous le titre "Correspondance
inattendue" que j'ai joué cet été
au Théâtre Tristan Bernard et j'en rédigerai
la préface.
Il y a également la préparation
du spectacle de fin de saison en Vendée avec mes merveilleux
élèves de Vendée qui sera en forme d'hommage
à Jean Anouilh où on ne donnera que des scènes
extraites de son théâtre pour rappeler qu'il est
le dernier vrai grand auteur dramatique et que, dans son théâtre,
il y a tous les emplois et tous les rôles. Voilà
je crois que je n'ai rien oublié. Ensuite il y aura peut
être d'autres choses qui se grefferont là dessus.
Au plan des évènements ponctuels,
nous ferons en février une belle classe publique à
l'Automobile Club de France qui est un lieu où nous jouons
régulièrement, dans la très belle bibliothèque,
devant un public choisi. Toujours en attente et en préparation,
mais cela n'interviendrait sans doute pas aussi vite que nous
l'espérions, un troisième livre me concernant.
Sa parution se trouve retardée car il sera construit
à partir d'entretiens que j'ai eu avec une personne qui
s'est démise de ses fonctions et donc il y a un gros
travail de décryptage des enregistrements.
Les nouveaux élèves : la promotion 2008-2009
Vous l'avez évoqué il y a quelques
instants, septembre est le mois des nouvelles inscriptions et
la nouvelle promotion, si l'on peut dire concernant vos cours
qui ne sont pas organisés en cursus rigide, et vous l'avez
indiqué d'ores et déjà lors des Master
Classes, la nouvelle promotion s'avère très prometteuse.
Quels sont les constatations qui vous étonnent ou réjouissent
le plus ?
Jean-Laurent Cochet : Compte tenu de l'affluence
des demandes d'inscription nous devenons de plus en plus exigeant
et, ce que je ne souhaitais pas faire auparavant, nous sommes
dorénavant obligés de le faire. Nous faisons passer
des auditions d'entrée avec également des candidatures
à l'essai. Cela constitue donc un tri. Il y a toujours
eu des gens attachants mais ils sont de plus en plus nombreux.
L'audition de début de saison en septembre concernait
une trentaine de candidats et nous en avons gardé plus
de 20 ce qui est déjà énorme.
Mes
assistants ont chacun des groupes définis alors que pour
mes classes personnelles je réunis tous les groupes pour
qu'ils puissent assister à leur travail mutuel. Et ce
qui m'a frappé, avant même leurs qualités
de futurs comédiens, c'est leur qualité d'individu.
Et circule entre eux, alors qu'ils sont d'origine
différente, un esprit exceptionnel de qualité
d'écoute et, il faut le souligner, car à notre
époque cela devient rare, ils sont bien élevés,
courtois, charmants, élégants et ils ont très
envie de travailler. Ils sont passionnés et tout fusionne
entre eux et les plus anciens, ce à quoi se rajoutent
les dons d'abondance chez certains ou des qualités plus
singulières chez d'autres. Ca a un charme fou !
Il y a, comme presque toujours maintenant,
moins de filles réellement intéressantes que de
garçons car elles sont un peu plus contaminées
par l'époque où elles vivent, et bien d'autres
raisons. Il y a une brochette de garçons, d'emplois,
de physique, de timbres différents. C'est la raison pour
laquelle j'en ai retenu quelques-uns dès la première
Master Classe d'octobre pour les faire connaître, notamment
avec cette scène de répertoire jouée à
plusieurs, ce qui est très public et payant, et ils ont
été remarquables. Il y a en ce moment un climat
exceptionnel au cours. C'est donc une cuvée de très
grande qualité avec ce mélange d'envie de travailler
et, tant mieux pour eux, des physiques, des timbres de qualités
et de beaux emplois parmi eux et surtout un état d'esprit
qui est très agréable. On est très heureux
ensemble.
Molière ou Corneille ?
Toujours lors des Master classes vous avez
évoqué le cas, ou la polémique rocambolesque
sur Molière et Corneille, à savoir que c'est Corneille
qui a écrit les pièces signées Molière.
Jean-Laurent Cochet : Ce n'est rocambolesque
que parce qu'à l'époque de Molière, Molière
n'est pas un individu, il y avait Jean-Baptiste Poquelin et
cela fait maintenant plus d'un siècle, depuis Pierre
Louys notamment, que des gens comme Hyppolite Wouters, et plus
récemment Denis Boissier, et plus récemment encore
Franck Ferrand, nous ont rappelé que, pendant le 17ème
siècle et une grande partie du 18ème, pas plus
que cela n'avait étonné ce qui avait été
dit sur Shakespeare, bien sûr qu'il avait existé,
bien sûr qu'il était un comédien avant tout
et qu'il avait écrit certaines pièces, dont on
ne sait pas lesquelles et en collaboration avec qui, car l'écriture
était très collégiale et cela n'étonnait
personne, personne ne revendiquait la responsabilité
d'être le plus grand, d'être le meilleur.
C'étaient des hommes de théâtre.
Il en était de même à l'époque de
Molière, je préfère d'ailleurs dire Poquelin,
parce que Poquelin, on ne sait qui lui avait attribué
ce nom de Molière et d'où cela venait, quand il
a fallu trouver tout simplement une marque de fabrique on l'a
ainsi baptisé, car il était toujours Jean-Baptiste
Poquelin, bouffon du roi, comédien, directeur de troupe.
Molière était à l'origine écrit
sans accent et c'était un verbe latin qui voulait dire
"légitimer". Déjà cela est assez
extraordinaire ! Ce sont les romantiques qui ont commencé
à broder autour du personnage, la Révolution a
suivi, et ensuite c'est devenu indéboulonnable, et personne
ne se posait plus de questions si ce n'est, très tôt,
Pierre Louys au début du 20ème siècle.
Personne ne s'est étonné de ce
qu'il était concrètement impossible d'écrire
autant de pièces. Molière n'en aurait pas eu le
temps. Personne ne s'est étonnée, sous couvert
de dire "c'est cela le génie", de ce que les
premières pièces, qu'il a sans doute écrit
même si c'est en collaboration avec Béjart, le
frère de Madeleine, étaient des pièces
grossières, vulgaires, pas très drôles,
faites d'après des canevas du Pont Neuf comme "Le
médecin volant", et qu'à partir d'une certaine,
date, comme par hasard quand il a rencontré Corneille,
il se soit mis à faire des chefs d'œuvre, ce dont
il aurait bien été incapable. Il devait y collaborer
en y glissant certaines scènes, car le roi n'aimait que
les farces, comme les scènes des paysannes dans "Dom
Juan" mais sans être capable d'écrire les
scènes d'Elvire et de Dom Louis, entre autres. Il y a
glissé la scène de Monsieur Dimanche qui justifierait
presque que Patrice Chéreau l'ait coupée quand
il a monté cette pièce.
Il n'existe aucun manuscrit de Molière
à part cette fameuse facture de tapissier qu'il a signée
deux fois et, grâce au Ciel, on se heurte aujourd'hui
moins à des gens qui refusent toute rectification de
la vérité en disant :"C'est génial!".
Oui, c'est génial mais ce n'est pas de lui ! Un point
c'est tout. Nous ne saurons jamais tout en détail. Ca
a commencé avec Boileau avec les deux vers sur lesquels
personne ne voulait revenir parce qu'il a quand même écrit
: "Dans ce sac ridicule où Scapin s'enveloppe, je
ne reconnais pas l'auteur du Misanthrope". Ca a été
dit une fois pour toutes. Et c'est un sujet dont j'avais beaucoup
parlé avec Madame Dussane qui partageait mon opinion
d'ailleurs. Mais il ne fallait surtout rien dire même
si on pressentait la vérité. Il ne fallait pas
dire la vérité aux gens qui préfèrent
ne pas savoir, rester ignorants.
Puisque nous connaissons la vérité,
ce qui est merveilleux est cette association entre ces deux
hommes et il y a peut-être eu d'autres collaborateurs.
Corneille lui-même, de temps en temps écrivait
avec des associés, comme Donneau de Visée ou d’Assoucy,
cela se faisait très couramment à l'époque
et cela n'étonnait personne. Tout était plus simple
et on n'avait pas encore créé la Société
des Auteurs. Rien d'étonnant à ce que Corneille
accepte puisqu'il était payé par Molière,
qui avait une grosse fortune, et qu'il pouvait ainsi écrire
les pièces qu'il n'aurait plus pu écrire en tant
que Corneille puisqu'il avait été disgracié.
Et surtout moi, et c'est là mon métier et que
j'interviens, j'ai toujours senti qu'il y avait là un
mystère, un mystère qu'on ne résout pas
en disant que c'est une énigme, comme le masque de fer,
ou en disant :"c'est le génie".
Il ne s'agit pas de déboulonner Molière
mais chacun a sa part et sa place. Molière était
aussi un très grand comédien, un directeur de
troupe qui a su reprendre la troupe créée par
Madeleine Béjart pour sillonner la France jusqu'au moment
où ils sont arrivés à Rouen où il
y a eu la rencontre avec Corneille qui, alors même que
pour entrer à l'Académie française il n'avait
pas voulu quitter sa province, est venu s'installer à
Paris dans la maison voisine de celle de Molière, comme
par hasard et sans qu'on s'en vante. Ils ont travaillé
ensemble et les pièces sont de Corneille.
Qui connaît bien comme moi l'œuvre
de Corneille, de la première comédie à
la dernière tragédie "Suréna"
qui est admirable, qui est bien plus belle que les tragédies
de Racine, avec les comédies héroïques, avec
les tragi-comédies, avec toutes ses inventions, c'est
le grand homme français du 17ème siècle,
c'est notre Shakespeare, notre Cervantès, et ce qui est
intéressant est de lui rendre ce qu'on lui doit. Toutes
ses comédies sont des chefs d'œuvre. Et j'en parlai
récemment avec Jean Dutourd, même les tragédies
les plus honnies comme "Attila" ou "Agésilas",
et je les ai relues récemment, même s'il y a de
temps en temps des vers un peu pompeux mais les personnages
le justifient, ce sont des merveilles. On est en pleine période
élisabéthaine transposée au 17ème
siècle, avec des héros venant de tous les azimuts.
C'est le très grand auteur. Le très grand homme
c'est Corneille. On dit "l'affaire Molière"
comme si on dirigeait tout cela contre lui mais dire "l'affaire
Corneille" serait plus exact. C'est pour rendre sa vraie
place à Corneille ! Et il n'y avait pas à attendre
l'intervention de l'informatique pour étudier les nombres
et la scansion.
Toutes les grandes pièces, comme "Tartuffe"
ou "Le misanthrope", ne peuvent absolument pas avoir
été écrites par Molière ! Moi ça
me titillait depuis mon plus jeune âge mais avec des gens
comme Jean Meyer on n'en parlait pas. Avec Madame Dussane on
en parlait beaucoup plus mais sous couvert du secret. Sa première
réaction a été extraordinaire. Elle m'a
dit : "Tu connais mon livre ? Comment je l'ai intitulé
?". Et le titre sublime de son livre est "Un comédien
nommé Molière". Il ne faut pas aller très
loin pour le décrypter. Elle y décrit des scènes
de ménage chez les Poquelin et Molière a sans
doute fourni à Corneille des scènes de famille
pour les pièces bourgeoises où il a glissé
son opinion. C'est ainsi qu'il y a parfois des vers très
mauvais. Quand le personnage a besoin de s'asseoir il fait dire
à Elmire dans la scène avec Tartuffe "Mais
prenons une chaise afin d'être un peu mieux". C'est
grotesque !
C'est ce qu'écrivent maintenant les
gens de Parly II, de Bécon les Bruyères III, tous
ces relecteurs. Personne ne s'est étonné d'entendre
ce vers après le vers admirable "Je suis fort redevable
à ce souhait pieux". On retrouve le style de Corneille,
celui de ses premières comédies, dans toutes les
comédies de Molière, telles "Le menteur",
"La suite du menteur", "Mélite",
"La galerie du palais", "La place royale",
"La suivante", "La veuve" qui ont également
des chefs d'œuvre mais les gens ne les connaissent pas.
A part une scène écrite par Molière, et
on n’en est pas sûr, il a écrit "Psyché".
Après, comme par hasard, quand leur théâtre
a été publié on ne retrouve absolument
pas le nom de Corneille ! De leur vivant on disait que c'était
de Quinaud, Corneille et Molière ; ensuite hop! "Psyché"
n'existe que dans les œuvres de Molière.
Si
on analyse tous ces faits, comme l'ont fait récemment
certains auteurs, on est effaré vu la somme d'éléments
qu'ils relatent qu'on les ait occultés si longtemps.
Car c'est passionnant et cela ne retire rien au personnage,
au chef de troupe, comme cela ne retire rien à Jouvet
de ne pas avoir écrit les pièces de Giraudoux
qu'il aurait pu signer puisqu'il l'a aidé si souvent.
Je trouve cela extraordinaire cette collaboration avec le plus
grand comédien de son temps, il a renouvelé le
jeu dramatique, si ce n'est qu'il voulait jouer la tragédie
et c'est pour ça qu'il a joué tous les Corneille
jusqu'à ce que le roi lui dise que la tragédie
ne l'amusait pas beaucoup. Il ne ressemble pas du tout au portrait
qu'en a fait Mignard.
Le portrait où il se ressemble le plus
est comme par hasard le tableau des farceurs, des comédiens
italiens, où il présente ses personnages. Je ne
vous dis que le centième et il faut lire ces livres qui
se lisent comme un roman, mais un roman qui établit des
vérités. On y apprend que Molière n'était
pas un saint, loin de là, qu'il n'avait pas seul l'apanage
de la douleur et de l'amour. Tout dans l'œuvre de Corneille
révèle un amoureux bien plus profond, plus tendre,
plus émouvant. Il n'y a qu'à voir les vers d'"Amphitryon".
C'est évident ! Molière n'aurait pas eu le temps
d'en écrire 10 alors que Corneille pondait abondamment
et il connaissait tous les canevas de toutes les soties qu'on
pouvait adapter, ce que n'aurait pu faire Molière qui
n'avait pas été à l'école.
L'aventure de Pierre Louys a été
une injustice. Ca a entraîné la jalousie de tous
ceux qui n'y avaient pas pensé, la fureur de tous ceux
qui se sont rendu compte qu'ils avaient été très
"cons" de ne pas avoir vu cela, "on est inculte
il ne faut pas le dire". Pour ma part, vous pensez bien
que je n'allais pas me mêler de mettre mon grain de sel
là où d'autres le faisaient mieux que moi. Mais
maintenant, je ne m'en cache pas puisqu'on estime que, étant
qui je suis, mon opinion peut faire autorité ; j'ai encore
eu, il y a quelques jours, un entretien avec Michel Drucker
à l'occasion du livre de Franck Ferrand, et je prends
fait et cause pour ça. Nous ne saurons sans doute jamais
tout en détail mais ce n'est pas ça qui nous importe.
Il y a peut-être des vers de Béjart, des vers qui
viennent d'une réaction d'un comédien, comme pour
Guitry.
On a toujours trouvé des explications
à tout. Il y a des choses moins bonnes, moins bien ficelées
qui sont peut-être de Molière, comédien,
homme de théâtre. Je ne dis pas qu'il ne savait
pas trousser quelquefois certaines choses mais c'était
du Barillet et Grédy relativement à ce qu'est
Guitry ! Et ce qui est passionnant c'est le personnage de Corneille
qui est un homme étonnant. Les gens se posent de mauvaises
question telle : "Vous croyez qu'un auteur se serait tu
quand on a attribué ses oeuvres à un autre ?".
Oui, parce que c'était son intérêt. On ne
voulait plus entendre parler de lui, il était payé
par Molière. Il est resté 7 ans sans écrire
sous son nom et c'est pendant ce temps là qu'il a fait
une grande partie de l'œuvre de Molière. Il faut
absolument livre ces livres ! Le premier à relancer l'affaire
il y a quelques années c'est un belge, Hyppolite Wouters.
Son livre est délicieux. Denis Boissier a consacré
une partie de sa vie à cette étude et maintenant
il y a Franck Ferrand.
Il s'est attaqué à cinq énigmes
de l'histoires telles Alésia, maintenant tout le monde
admet que le lieu d'Alésia n'est pas du tout en Bourgogne
mais en Franche Comté, l'affaire Dreyfus, qui a été
arrangée par de grands généraux de l'époque
qui y avaient trouvé leur intérêt, le tombeau
de Napoléon, on sait maintenant qu'il a été
enterré à Westminster comme il le redoutait et
on a mis le fameux Cipriani dans son tombeau qu'on avait ouvert
avant de le rendre. Il n'y a donc pas de sacrilège! Tout
le monde sait maintenant que Jeanne d'Arc était une sainte
femme mais qui, s'il n'y avait eu tout l'argent de Yolande d'Aragon
derrière elle, n'aurait jamais manipulé une armée
à elle seule. Tout ça c'est de l'incrédible
et, en voulant ériger des légendes, on retire,
au contraire, la qualité humaine qui était la
sienne.
L'affaire Molière ça paraît
peu de chose. Je me souviens de Robert Manuel qui était
allé à une émission de Pivot, ou d’un
autre gugusse, qui avait reçu Wouters, avec une collection
de bustes de Molière faits on ne sait où, sans
même être sûr qu'il s'agissait de lui, en
disant : "Bien sûr qu'il a existé, voilà
ses bustes !". Tout a été fait avec une ordinarité,
un faux respect, une sensiblerie incroyable. Ca me passionne
!
Oui, nous avions beaucoup parlé de ce
vers de Boileau avec Madame Dussane et elle y voyait l'indication
d'un jeu de scène à la création de la pièce.
Il devait porter autour de lui ce sac avant d'y mettre Géronte.
Si on relevait toutes les fautes qu'on n'a pas corrigées
pendant des siècles parce que c'était dans la
brochure ! Mais il devait y avoir dans les brochures ce qu'il
y a maintenant dans toutes les éditions Garnier Flammarion,
et bien d'autres, des coquilles d'une bêtise incroyable
quand ce n'est pas le fait conscient, volontaire de quelques
profs de littérature de la dernière pluie qui
corrigent des vers parce qu'ils pensent que les gens ne le comprendraient
plus. Et pour ça personne ne s'insurge, même pas
l'Académie Française ! Quand je le leur ai donné
50 exemples de cela, il m'a été répondu
qu'on ne pouvait pas aller contre les éditeurs ! Qu'est
ce que cela veut dire ?
Ce qui m'amuse, sans me réjouir d'ailleurs,
dans le domaine, j'allais dire des cabots avec beaucoup de tendresse,
est que, disons dans le domaine des artistes dramatiques, de
temps en temps, ça soulève quelques réactions
: "Oh ça parait énorme !" Oui, c'est
énorme qu'on ne s'en soit pas rendu compte avant ! Mais
sinon, parmi les gens qui ne sont pas du métier, j'oserai
dire qu'ils s'en foutent. De même que si on leur demande
pourquoi ça s'appelle le Français ils sont incapables
de répondre. Ca s'appelle le Français parce qu'on
allait y voir des comédiens français. On allait
aux Français ce qui était une faute de français
écrite au pluriel. Et si on leur fait remarquer que ce
n'est pas normal, ils répondent qu'ils ont toujours entendu
ça depuis 80 ans ! Cela paraît un événement,
c'en est un si c'est pour remettre Corneille à sa vraie
première place. Et c'est amusant s'agissant de penser
que c'est Corneille le grand auteur du 17ème siècle.
La politique culturelle
Vous évoquiez le Français ce
qui amène une question qui va vous fâcher sans
doute. Elle concerne les événements récents
concernant la politique culturelle telle la fermeture du Vieux
Colombier, certains théâtres sans directeur, la
Comédie Française transplantée à
Bobigny et la fermeture de certains théâtres d'arrondissement
à Paris.
Jean-Laurent Cochet : La Comédie Française
joue déjà à Bobigny en étant salle
Richelieu ! Tout cela n'a aucun sens ! Je n'en pense rien. Cela
ne me concerne pas. A partir du moment où c'est la politique
qui se mêle de prendre des décisions concernant
le théâtre cela ne m'intéresse pas. Ce n'est
pas leur métier, ils n'y connaissent rien et cela fait
des années maintenant que cela dure avec les subventions
attribuées en fonction de la couleur politique. Tant
qu'il n'y aura pas de ministres qui savent de quoi ils parlent,
et Dieu sait que j'aime notre Président à tous
points de vue, on l'attendait ce petit grand homme, c'est absolument
extraordinaire ! Mais malheureusement, comme beaucoup de ses
prédécesseurs, en dépit des talents de
comédien de son fils quand il a voulu faire ce métier
là, il délaisse un peu le domaine de la culture
qui a toujours été laissé à vau-l'eau,
selon le principe que la culture en France c'est le domaine
de la gauche, tant, disais-je, qu'il n'y aura pas un homme compétent
qui sait de quoi il parle, on ne parlera jamais que de fric
et de politique.
Ce
sont les mêmes qui ont créé ces théâtres
et les maisons de la culture en province qui veulent maintenant
les fermer sans qu'on sache pourquoi. De toute façon,
il y a trop de théâtres. Et puis, c'est la qualité
qui devrait primer mais il ne savent pas. A force de louer,
pour de raisons politiques, des pièces qui sont des charges,
des défigurations, un monument d'horreur et d'ennui qui
dégoûtent le public, certains gens du métier
rentrent dans le jeu ….
Ca ne m'intéresse pas ! Tout ce que
je vois c'est que le théâtre, subventionné
ou non, se meurt, à cause de toutes ces sollicitations
diverses, à cause du manque de professionnalisme, de
culture, de connaissances des choses. Humainement c'est honteux
! Artistiquement c'est rien !
Il faut espérer que ceux qui sont vraiment
fait pour ce métier s'en sortiront toujours même
s'ils ne sont pas subventionnés. C'est peut-être
ainsi qu'on en viendra à faire notre travail comme Monsieur
Copeau l'avait fait en 1913 et puis comme d'autres l'ont fait
depuis sans chercher des appuis politiques. Mais cela a été
de tous temps et j'ai eu à lutter contre ça. Cela
a existé dans le passé, depuis Monsieur Malraux.
Ca a commencé sous De Gaulle avec Mademoiselle Laurent,
les Pierre-Aimé Touchard qui ne savaient pas de quoi
ils parlaient, qui étaient des universitaires de la pire
extraction. Ils n'ont aucun goût, aucune connaissance,
aucun discernement et c'est la gabegie financière. Ca
a existé de tous temps avec ces gens qui ont voulu laisser
leur nom, leur cathédrale, leur pyramide et puis tant
pis si le théâtre en meurt et s'il y a des gens
mis au monde pour ça qui n'arrive pas à faire
leur métier parce qu'ils n'ont pas, eux, l'esprit d'aller
se vendre. Pour ma part, j'ai assez donné.
Françoise Seigner
Le temps file et je voudrai que vous nous parliez des grandes
figures du métier justement que vous évoquez souvent
lors des Master Classe et en l'occurrence de Françoise
Seigner.
Jean-Laurent Cochet : Ah oui il faudrait en
parler beaucoup et, de tous ceux qui en ont parlé, je
pense être celui qui, en définitive, connaît
toute sa famille. Pour parler de Françoise, il faudrait
faire tout le parcours qui a été le sien. Fille
de comédien, et ce n'est pas pour ça qu'on a du
talent, elle a voulu quand même faire ce métier.
Au Conservatoire, à cause de son physique, on l'a cataloguée
dans les soubrettes qu'elle jouait bien mais on sentait, déjà
à l'époque, que ce n'est pas là-dedans
qu'elle se réaliserait le plus. Le drame de sa vie privée
est qu'elle n'a jamais eu, et Dieu sait qu'elle le souhaitait
car c'était une charnelle, une passionnelle, une sensuelle,
de réelle vie de femme, ce qui a influé sur son
caractère et son tempérament et que cette femme,
qui avait presque toutes les qualités de la terre, petit
à petit, se rendait odieuse à certains.
On a tout dit sur Françoise comme sur
tout le monde. Elle et moi, on s'est même fâché
pendant 5 ans sans que les gens sachent qu'on s'appelait en
coulisses pour se dire que ça va quand même finir
un jour parce qu'on n’en pouvait plus de ne pas se voir.
Elle me disait : "Si on ne se voit plus, à qui veux-tu
que je parle de tout ce qui nous intéresse ?".
Elle a eu une vie bien particulière
quand elle a été renvoyée du Français
; elle en a bavé. Tous les gens de l'extérieur
se sont emparé d'elle en sachant que c'était une
comédienne unique et c'est là que Planchon lui
a fait jouer Dorine avant que je ne le lui fasse jouer moi-même.
Nous avons été 4 metteurs en scène, Planchon,
Jacques Fabbri Jacquemont et moi, qui l’avons fait jouer.
C'était une comédienne considérable, une
femme difficile : une femme qui prônait le bon sens et
qui souvent se fourvoyait. Il faudrait en faire un roman de
la vie de Françoise, de son parcours, de ses éclats.
Elle était d'une vie étonnante, d'une mauvaise
foi et, en même temps, généreuse, avide
de tout, curieuse, soupe au lait, irascible et, en même
temps, avec beaucoup de tendresse qu'elle mettait dans tous
ses rôles.
C'est moi qui, en lui faisant jouer Arsinoé,
l'ai fait retourner à la Comédie Française.
Elle avait joué différentes pièces dans
ma compagnie, et Jean-Jacques Gautier, un critique de l'époque,
ce n'est pas flatteur que ce soit lui mais il était écouté
à l'époque, avait écrit, en parlant d'elle
et de moi : "On se demande comment la Comédie Française
a pu laisser échapper, quelquefois apparemment avec plaisir,
des comédiens qui devraient encore être chez elle".
Moi, il se trouve qu'on ne m'a pas demandé de revenir
et que je n'aurai pas accepté à ce moment-là,
mais Françoise est rentrée en grande vedette,
ce qui lui a un peu tourné la tête d'ailleurs.
Elle était sociétaire quelques mois après.
On a créé pour elle "La
commère" de Marivaux, qui n'avait jamais été
jouée, et on a repris toutes les pièces dans lesquelles
elle pouvait jouer les grandes soubrettes comme Dorine, et Toinette,
tout spécialement. Quand j'ai monté "Le malade
imaginaire", qui a été couronné de
tous les prix de la terre, elle avait joué Toinette,
en dépit de tous les gens qui la trouvaient trop âgée
pour jouer une soubrette de 26 ans, et elle a été
absolument géniale ! Après, malheureusement, elle
est restée dans la maison quand ont commencé à
arriver des administrateurs, des metteurs en scène et
des gens qui n'étaient pas du tout de sa famille.
Mais il fallait bien se défendre et
ne pas laisser tous les rôles aux autres ; et alors là,
elle a été très souvent très malheureuse.
Elle n'y voyait plus très clair et a fini, un jour, par
donner sa démission après avoir fait des mises
en scène, ce qui m'avait un peu étonné
car rien dans son passé ne me laissait prévoir
que cela l'intéresserait. L'enseignement ne l'intéressait
pas vraiment. Elle s'intéressait à des jeunes
isolément mais elle n'avait pas la patience, comme son
père d'ailleurs, de s'occuper d'un cours.
Elle aimait les fondations et elle s'est ruinée
en faisant des maisons un peu partout en France. Ses maisons,
ses maisons ! Il est vrai que c'était une femme ouvrière,
et une vraie compagnonne. Elle a été sublime dans
Madame Gervaise dans "Jeanne d'Arc" qu'on avait monté
pour elle avec Jean-Paul Lucet qui l'avait dirigé admirablement
et moi je les avais accueillis en festival. C'est vraiment,
je crois que je l'ai dit au cours, après Madeleine Robinson,
la dernière vraie grande comédienne de théâtre.
Et comme toujours, le cinéma fait moins appel à
eux. Elle a tourné peu de films. Mais il est vrai qu'à
moins d'avoir vraiment besoin d'argent, ce n'est pas au cinéma
qu'un comédien est particulièrement heureux d'exercer
son métier.
Alors, avec la chère Françoise
on était un peu comme frère et sœur. On partageait
les mêmes engouements, les mêmes passions les mêmes
goûts car "engouements" ça peut sentir
la mode ; on avait eu les mêmes maîtres et on était
profondément attachés. Et quand je me suis occupé
de la soirée d'adieu de son père, je me sentais
un peu comme un enfant de la famille à la maman exquise
cette délicieuse Marie Cazeaux, qui avait été
une jeune première merveilleuse à l'Odéon
et qui a tout abandonné en épousant Louis Seigner.
De
tels personnages, qui ont tout sacrifié à leur
métier, n'existent quasiment plus. Ca a été
des carrières difficiles même quand on croyait
que ça se passait très bien car il a toujours
fallu qu'ils se battent ; rien n'était jamais acquis
et c'était Louis Seigner qui disait cette phrase que
Françoise a repris à son compte : "Le théâtre
n'est pas un métier c'est une aventure".
C'est une aventure mais c'est aussi un métier
et c'est pour cela qu'il ne faut pas laisser n'importe qui s'aventurer
sans avoir le métier à la base. Françoise,
c'est une petite anecdote mais cela m'a naturellement bouleversé,
on continuait à se voir et déjeuner ensemble de
loin en loin tout en reprenant notre conversation comme si on
s'était quitté la veille.
Il y avait un petit moment qu'on ne s'était
pas vu et elle m'a appelé. Elle m'avait envoyé
quelques jours avant un jeune élève, remarquable
d'ailleurs qui fait partie de cette dernière cuvée,
ce qui m'a fait plaisir, et en m'appelant elle me dit sans aucun
humour, alors que Dieu sait que si elle n'avait pas toujours
de l'esprit dans certaines circonstances l'humour ça
frisait, elle était maligne, ce jour-là elle ne
plaisantait pas du tout et j'ai mis un moment à comprendre.
Elle m'a dit : "Tu sais ce qui m'arrive
aujourd'hui ?". Je lui réponds :"Non ma chérie".
"J'ai 80 ans!" Je lui dis : "Ah oui, on n'y songe
pas et ce n'est pas ce qu'il y a de plus intéressant
et il y a des gens qui peuvent avoir 90 ans". "Ah
oui mais moi je ne l'accepte pas. Je ne peux pas et c'est ce
qui me désole je suis très malheureuse car je
pensais être plus forte que tout ça. Mais j'ai
changé de chiffre ! Je ne suis pas une femme de 80 ans
! Je ne peux pas imaginer que je suis une femme de 80 ans !"
J'essaie de la raisonner et là dessus
elle m'envoie le livre qu'elle avait écrit sur son père.
Comme je n'étais pas particulièrement enthousiaste
après sa lecture, je ne lui ai pas répondu tout
de suite en comptant laisser passer les vacances pour l'appeler.
Le jour où j'ai décidé de l'appeler, parce
que Liliane Sorval m'avait dit : "Je crois qu'elle ne se
porte pas très bien", et bien ce jour-là,
c'est le jour où elle mourrait. C'est quand même
extraordinaire comme relation ante mortem et post mortem.
Quelle image, quelles paroles ou quel événement
vous viennent à l'esprit quand vous évoquez son
souvenir ?
Jean-Laurent Cochet : Ah ce sont nos fous rires.
C'est notre travail aussi. C'est avant tout qu'elle avait un
défaut dont elle ne s'est jamais corrigée, et
qui fait qu'elle s'est fâchée avec beaucoup de
monde, qu'elle était ab-so-lu-ment intolérable
et impraticable dans le métier : à moins qu'on
la tarabuste, elle n'arrivait jamais avec moins d'une demi-heure,
trois quarts d'heure de retard ! On se demande même comment
elle n'a jamais raté son entrée dans une représentation
! Parfois, elle arrivait pas coiffée tellement c'était
viscéral et, si on le lui reprochait, elle rétorquait
(ndlr : d'un ton bougon que Jean-Laurent cochet restitue avec
humour) : "Oui, je sais, je sais, je suis en retard !Je
suis Françoise Seigner !". Nous avions donc un peu
rompu nos relations une fois car elle rejetait la faute sur
tous les autres.
Mais, travailler avec elle était merveilleux
car elle était d'une invention extraordinaire ; elle
réinventait le rythme des textes, elle faisait sa propre
prosodie sans chercher à faire autre chose que ce qui
était écrit par Corneille ou Molière. Les
fous rire, bien sûr, car nous avons beaucoup joué
ensemble, un peu partout, dans toutes les circonstances, dans
des tournées mémorables qui, comme le disait le
monsieur qui nous accompagnait : "Je vous emmène
aux marches de la Patagonie". Et, effectivement, nous sommes
allés aux marches de la Patagonie, ce qui n'était
pas ce qui avait de plus amusant. Tous les festivals avec l'équipe,
Hirsch et Charon, qui formaient une bande merveilleuse, et ensuite
avec ma compagnie, toute l'Amérique Centrale, l'Amérique
du Sud et puis les festivals ! C'était la joie, la plénitude
! Nos soirées poétiques aussi, car elle disait
les vers admirablement. Ce sont des souvenirs rarissimes !
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