A l'origine du projet Resistenz, il y a la poétesse Ana Igluka et le guitariste-compositeur Erwan Foucault. De performances en mises en scènes, projections vidéos et captations en direct, jeux d'éclairages, poèmes chantés et mis en musique, le duo nantais bientôt constitué en collectif promène son univers, centré autour de l'idée de résistance, depuis 2004.
Plus qu'un album au sens auquel l'entend le monde du rock, Bal Folk Moderne, paru en 2008, est l'objet-témoin de quatre années de maturation, d'évolution, d'affutage (plutôt que de "production", comme on pourrait le dire vulgairement). Bien entendu, on y trouvera de la musique, près de 80 minutes de compositions oscillant entre poésie contemporaine, chantée ou récitée, post-rock et illustration musicale aux vrais-faux airs de bande originale de film. Mais on trouvera également, sur un deuxième disque, tout un ensemble de vidéos et photos qui, loin d'être de simples bonus, touchent bien à l'âme de ce qu'est Resistenz.
Pas un groupe. Pas de combo basse-batterie-guitare. Resistenz, comme d'autres cousins montréalais illustres, est un collectif. On y trouve des musiciens, certes, une chanteuse-poétesse, on l'a dit, mais aussi des chiens, des vidéastes, des photographes et des kilomètres de mots-militants.
Quelque part à la confluence entre Meanwhile Back In Communist Russia, les Cranes (pour leur adaptation des Mouches de J.P. Sartre), les compositions post-rock de Sylvain Chauveau et Arca, les ambiances réjouissantes d'une introduction de Godspeed You Black Emperor (souvenez-vous : "the sewers are all muddied with a thousand lonely suicides"), Resistenz sait très facilement créé un univers très personnel, exigeant, et parfois déroutant.
Les amoureux de musique allégée, écervelée et nourrie d'une pop anglaise plus stupide qu'insouciante, auront d'ailleurs certainement beaucoup de mal à entrer dans cet univers, où ils ne percevront que grandiloquence et pessimisme, fascination pour la noirceur. Certes, la musique du collectif ne s'épargne pas le détour par certaines considérations (intempestives, inactuelles, comme celles de cet autre grand résistant-révolté célèbre), ce qui est l'âme même de son projet : se cabrer, ruer, aboyer, avec une certaine rage animale, un bel instinct de survie appliqué à l'animal-humain dans ses sociétés-tanières.
Pourtant, ni les textes ni les images ni les ambiances ne s'autorisent jamais à la résignation, gardent toujours une certaine légerté. L'espoir enragé de la lutte, plutôt que la colère de la soumission, de la résignation. On saura également gré au collectif d'avoir éviter de sombrer dans une musique arty-artificielle, auto-référencée, gratuite, facile et absconse, pour privilégier des compositions toujours abordables, des textes dans lesquelles l'auditeur peut encore trouver ses repères - pour autant que l'on puisse s'orienter en poésie.
Bal Folk Moderne se pose ainsi en objet-disque à part, d'une grande qualité, objet d'art plutôt qu'album de plus produit par l'industrie musicale pour satisfaire même ceux que l'industrie ne satisfait plus ; il s'adresse à ceux pour qui "alternatif" et "indépendant" ne sauraient être des rayons dans les mégamarchés de la culture de masse. Enregistré à la maison, comme en famille, par ce collectif humain, très humain qui fait de la résistance, toutes les résistances, un mode d'action artistique, un mode de vie, peut-être. Un univers à découvrir, de toute urgence, pour sa richesse inouïe ; et à faire passer, sous le manteau. "Nous sommes des barbares", Resistenz. Notre anti-propagande sera artistique. Le roi est nu, résistons. |