
A Paris, dans le 19ème arrondissement, au Pré
Saint Gervais, le Théâtre
de l'Orme s'est implanté au coeur d'une cité
d'habitation dans un local qui abrita les premiers bains-douches
affectés à la gendarmerie que son directeur, Laurent
Azimioara a façonné de ses propres mains,
au sens propre du terme, pour lui donner une âme.
Nous avons rencontré cet homme de théâtre
d'origine roumaine, animé d'une vraie passion qui lui
a permis de se reconstruire après son expatriation, et
de continuer non seulement à faire du théâtre
mais à professer pour transmettre son savoir aux jeunes
générations.
Vous êtes comédien et metteur en scène
et vous avez la plus grande partie de votre carrière
en Roumanie avant d'émigrer en France où vous
avez commencé une nouvelle aventure théâtrale
qui se concrétise aujourd'hui au Théâtre
de l'Orme que vous avez fondé en 2002. Pouvez-vous nous
en dire un peu plus sur ce périple d'une vie ?
Laurent Azmioara : Vous savez, je suis un peu
anarchiste et je n'ai pas de relations avec les gens qui sont
au pouvoir. Il est même rare que je donne des interviews.
Dans les années 60, j'avais déclaré à
la presse roumaine que je ne voulais pas répondre à
des interviews parce qu'un artiste n'a rien à dire. Ce
qu'il a à dire, il le dit sur la scène. Pour le
reste, il faut qu'il se taise. J'ai respecté ce principe.
Mais je vous réponds bien volontiers en tant que directeur
de ce théâtre.
En Roumanie, j'étais comédien,
metteur en scène et professeur à la faculté
de théâtre qui était une école unique
de théâtre qui enseignait tous les arts du théâtre
et du cinéma, la Faculté d'art théâtral
et cinématographique L.L. Caragiale. Ensuite j'ai été
appelé à ouvrir le théâtre de Roumanie
que Ceaucescu avait fait construire et qu'il voulait être
le plus grand théâtre du monde à l'exemple
de l'Opéra Garnier de Paris. C'était un lieu immense
avec pas moins de 3 000 sources de lumière qui a fini
par brûler.
J'ai inauguré ce théâtre,
le Théâtre National, tout en faisant également
des mises en scène pour d'autres théâtres.
J'ai arrêté d'être comédien car je
ne pouvais pas tout faire. Au Théâtre National,
j'ai monté beaucoup de pièces avec notamment,
Irina Rachiteanu, qui était une immense vedette, la Sarah
Bernard roumaine. C'était une femme très belle
et fantastique, brune aux yeux mauve, qui est devenue une amie.
Vous avez monté des auteurs classiques mais aussi des
auteurs contemporains dont Marguerite Duras.
Laurent Azmioara : Oui. Mais à l'époque je ne
connaissais pas Marguerite Duras. C'est le mari de Irina Rachiteanu,
qui était diplomate et qui avait vécu à
Paris, qui avait lu "La musica" et qui est venu me
trouver en me disant qu'il voulait faire un cadeau à
son épouse : la faire jouer dans "La musica"
au théâtre. Et il m'a demandé de faire la
mise en scène. Quand j'ai lu ce texte, je n'ai pas du
tout apprécié car cette première lecture
me faisait penser à une littérature de gare. Je
l'ai néanmoins mis en scène avec donc Irina Rachiteanu
et Constantin Codrescu et ce fut un triomphe. Mais je crois
que je suis resté, à l'époque, avec le
sentiment que je n'avais pas totalement compris cette œuvre.
Et c'est quand je suis arrivé à et que j'ai mis
en scène le "Shaga" que j'ai eu de son œuvre
une autre approche. Depuis, j'ai une passion pour cet auteur.
Racontez-nous votre épopée française et
notamment la genèse du Théâtre de l'Orme.
Laurent Azmioara : Je suis arrivé en
France très pauvre, dans une situation dramatique, avec
ma femme qui était très malade et un jeune enfant
de 3 ans, parlant vaguement le français. Ma femme est
d'origine française, mais née à Prague,
d'une famille très connue parenté avec les Bourbon,
et nous avons fait un choix spirituel et culturel en venant
en France. Même si je ne parlais pas couramment le français,
j'avais une culture française Dans les années
50 en Roumanie, tout était interdit et on n'avait même
pas le droit d'écouter Johann Strauss. Je vais vous raconter
une anecdote à ce sujet. Un jour, nous avons appris qu'à
la faculté de médecine se jouerait "La mer"
de Debussy, enfin que le disque serait diffusé, et nous
étions très nombreux à y aller. Si nombreux
que nous avons enfoncé les portes bien que n'étant
pas des voyous. Qui au monde a fait ça dans sa vie ?
En France, personne ne me connaissait et, le
premier mois de mon arrivée, j'ai eu un contact très
négatif avec les instances politiques, une des personnes
les plus importantes au pouvoir. Ce premier contact avec les
instances culturelles officielles a été très
difficile car on m'a dit : "Pourquoi êtes-vous venu
ici car nous avons le même régime qu'en Roumanie
?". J'ai répondu à cet interlocuteur en lui
disant : "Monsieur vous êtes un imposteur !"
et j'ai claqué la porte. C'était en 1981. Et depuis,
je n'ai jamais demandé quoi que ce soit à personne.
Avec de grosses difficultés, seul, j'ai
créé une école de théâtre
privé qui a tout de suite bien fonctionné et j'ai
eu la chance de connaître une personne qui m'a présenté
au maire de Paris de l'époque qui m'a proposé
d'ouvrir, en la louant, une salle au Forum des Halles. J'y suis
resté 10 ans. La maladie de ma femme m'a contraint à
me rapprocher de mon domicile près duquel j'ai ensuite
créé un lieu pour en faire un théâtre
aidé de mes amis. Mais il n'a jamais fonctionné
car ce il a été vandalisé de manière
irrécupérable. Tout avait réduit en miettes
par des jeunes qui ont considéré que c'était
leur lieu et que j'étais donc un intrus. Cela a été
terrible et je ne sais pas comment j'ai survécu à
cet événement.
Ensuite, j'ai trouvé ce lieu qui était
à l'origine, avant la construction de la cité
HLM, une petite maison, puis qui a été transformée
en établissement de bains-douches. Malgré son
état, j'ai été immédiatement séduit
par quelque chose d'indéfinissable qui en émanait,
une atmosphère qui m'a laissé penser que c'était
le lieu qui convenait.Le lieu, qui avait été laissé
à l'abandon, était dans un état épouvantable
et je l'ai restauré, avec quelques aides et amis, sans
aucune aide financière publique, pierre après
pierre, en mettant à nu la construction et les matériaux
d'origine.
Quelle est aujourd'hui la vocation du Théâtre
de l'Orme ?
Laurent Azmioara : Elle est double. D'une part,
le théâtre comprend deux salles de spectacles,
le théâtre sous verrière et une salle plus
petite pour les spectacles de petit format, pour y donner des
spectacles que nous produisons nous-même et des spectacles
que nous accueillons.
D'autre part, le théâtre est doublé
d'une école de théâtre, l'école "Arts
et Métiers du Spectacle", qui propose une formation
complète, comme son nom l'indique, aux arts du spectacle.
Ada d'Albon, mon épouse, qui est comédienne, metteur
en scène et écrivain anime l'atelier de méthodologie
et de travail de scènes du répertoire classique
et contemporain. Pour ma part, j'assure l'atelier "voix-chant"
et mon fils Ion, diplômé de l'Institut Supérieur
des Arts Appliqués, intervient depuis cette année
pour une initiation à l'improvisation et au travail devant
la caméra.
Quels sont les prochains spectacles à l'affiche du Théâtre
de l'Orme pour cette nouvelle saison théâtrale
?
Laurent Azmioara : La saison 2008-2009 va comporter
la trilogie consacrée à Marguerite Duras avec
la reprise de "Savannah Bay" suivie de "L'amante
anglaise" puis de "Le Shaga" dont j'assure la
mise en scène. Personnellement, quand je monte une pièce
de Marguerite Duras, je suis heureux d'exister encore car, à
chaque fois, je continue à découvrir chaque phonème
du texte. Et je peux même créer un mystère
autour de son écriture savoir si c'est elle qui écrivait
car elle buvait énormément et on se demandait
comment elle pouvait écrire. Nous sommes très
humbles, moi, le théâtre et les artistes qui font
ce travail. Nous sommes fascinés, heureux, de chaque
respiration qu'on peut avoir pour communiquer encore avec cette
dame.
Notre grand projet consiste dans le festival
que nous allons organiser et programmer en juillet 2009. Il
s'agit d'un festival destiné à célébrer
le spectacle vivant contemporain et nous avons choisi de l'orienter
vers la création contemporaine. C'est-à-dire que
nous allons sélectionner des projets concernant des textes
n'ayant jamais été joué en France, pas
même une fois, pour promouvoir l'écriture dramatique,
en permettant la découverte de nouveaux auteurs, et pour
donner aux jeunes compagnies et aux comédiens, par la
concrétisation d'un projet en co-réalisation,
de disposer d'un cadre et d'un lieu de représentation.
Ce festival qui célèbrera le
théâtre s'inscrit dans un contexte plus large puisque
pendant toute sa durée le Théâtre de l'Orme
initiera également des événements collatéraux
et multidisciplinaires dont notamment des expositions artistiques.
C'est donc une grande et passionante entreprise de fraternité
théâtrale sur laquelle nous fondons de grands espoirs. |