On s’est longtemps gaussé sur l’état prétendu du jazz français, mal en point, peu adapté à son époque, laminé par les vagues de fond et la modernité sans répit. Cette critique, si elle s’explique en partie (qui, de nos jours, s’aventure rive-gauche ?) occulte à elle seule les quelques rares bonnes sorties du nouveau millénaire (oui, je sais... les mots pompeux, tout de suite).
Parmi ces bourgeons francophones (je vous rappelle que Petrucciani n’est 1. pas un nom de grand cru du vignoble et 2. Il est mort), Baptiste Trotignon fait presque figure d’ancêtre alors que son futur est encore inscrit dans le registre des possibles et des "à venir". Après une récente collaboration avec Jean Fauque (parolier historique de Bashung), sur le premier album solo de ce dernier, après les reprises de standard rock (Flower Power, en 2006, accompagné par Romano et Vignolo), Trotignon revient à l’essentiel, le jazz en trio. Avec onze compositions originales. Pas des moindres. Car Share swingue souvent sur des tempos rythmés. Ce qu’un auditeur est en droit d’attendre du jazz en 2008 : du rythme, un battement de cœur et des instruments qui parlent plus qu’un dossier de presse.
Share, parce qu’il a été enregistré à New York, court plus vite que la moyenne. Et rien d’étonnant à ce que "Samsara" soit un clin d’œil au générique de Taxi Driver composé par Bernard Herrmann.
Plus qu’un clin d’œil, cet album en trio vise juste. Donne des images sur la longueur, sans que les pistes aient besoin de se nommer pour se faire comprendre ; et c’est l’un des charmes de cet album instrumental. Sur "Peace", c’est le jazz croisière qui part en ballade, parfait pour la plénitude côtière ; sur "Red light district", c’est la prohibition de NY qui remonte de la cave avec de bonnes bouteilles en accord de septième. Le tout se finit sur un titre mélodique (ce qu’on oublie souvent dans le jazz contemporain, au-delà de la technicité pianistique) très mellow, sans make-up, mais rempli de dégradés, de nuances. Et d’un peu de doigté, ce dont l’homme ne manque pas.
La pochette l’illustre parfaitement : Trotignon y est inscrit au second plan, caché derrière ses phalanges longues comme une blanche qui durerait plus de quatre temps. C’est un signe, dans la profession, qui ne trompe pas. |