Comédie
de Molière, mise en scène de Enrico di Giovanni,
avec Gérard Cesbron, Myriam Derbal, Enrico di Giovanni,
Donat Guibert, Jean-Pierre Hutinet, François Lescurat,
Caroline Piette, Véronique Sacri et Alain Veniger.
Célimène est une jeune veuve de vingt ans, elle
a du rang et de la fortune, de sorte que les prétendants
se pressent devant la porte. Elle s’amuse de leurs prévenances
et apprécie leur compagnie. Elle a des jeux simples :
ceux de rire au dépens d’autrui, de celle moins
jeune, de celui moins vif qu’elle … si cela pouvait
durer un petit moment.
Mais Alceste, le misanthrope, lui demande de choisir son futur
époux, en répondant favorablement à ses
avances. Comme Cupidon est inconséquent d’avoir
planter une de ses flèches dans le cœur d’Alceste,
qui brûle pour un tempérament aux antipodes du
sien !
Deux façons d’aimer s’opposent : l’amour
exclusif et empressé d’Alceste contre l’amour
par intermittence de Célimène, qui préfère
à tout, s’amuser de son succès et profiter
de son statut de veuve : femme libre, décidant elle-même
de son prochain contrat matrimonial.
Enrico Di Giovanni a préféré une mise
en scène dans un décor contemporain : intérieur
bourgeois, avec de petits marquis habillés en John Travolta
période "Saturday Night Fever". Il fait glisser
naturellement les alexandrins de Molière parmi ces nouveaux
styles et le public rit des ridicules de ces papillons voletant
autour de la belle veuve mordante.
Mais une fois la femme et ses détours démasqués
il ne reste qu’Alceste, cœur pur et amoureux pour
s’offrir encore. Mais pour celle qui préfère
les discours d’amour à l’amour même,
qui préfère un public à l’attention
d’un seul, fût-il le plus sage, le plus respectable,
pour celle-ci il n’est pas possible de se résoudre
à quitter la cour.
Dans la pièce de Molière, se pose la question
toujours neuve et moderne du langage : langage-média
qui traduit les sentiments que fait naître autrui, comme
langage du mensonge qui manipule et trahit. Les mots, si imparfaits,
et si enchanteurs !
Alceste est tout entier dans son discours, avec sa philosophie
et ses désirs, sans beaucoup d’égards pour
autrui alors que Célimène revêt un discours
d’apparat, séducteur, celui de sa liberté
, maîtresse du jeu , y déployant plus d’esprit
que de sentiments :elle donne à chacun les mots qu’il
attend. Seulement les attitudes de nos deux protagonistes ont
un même résultat : la solitude. Car on ne peut
ni tromper tout le monde, ni rejeter tout commerce social. Et
eux-mêmes comment se comprendraient ils puisqu’ils
ne parlent pas la même langue.
Enrico Di Giovanni joue un Alceste convaincant, butté
dans son aveuglement, impuissant à conduire quiconque
dans son système qui ne lui attire que des ennuis. Célimène
jouée par Véronique Sacri est tout à la
fois légère et gracieuse, et à la fois
grave et sûre de son fait. La confrontation avec Arsinoé,
(Myriam Derbal), est d’une telle violence qu’on croit
voir deux femmes se déchirer avec la dernière
cruauté.
"Le Misanthrope", joué au Théâtre
Mouffetard, est une des meilleures façons d’aborder
ce grand classique du répertoire, parce que vous y prendrez
simplement beaucoup de plaisir. |