Comédie de Molière, mis en scène de Colette Teissèdre, avec Bérengère Dautun, Julie Desmet, Emilie Dûchenoy, Guillaume Bienvenu (ou William Beaudenon), Nessym Guetat, Remy Oppert, Françoise Rigal, Yves Berthiau, Margareta Bluet et Gil Geisweiller.

Encore une comédie de mœurs pour Molière dans "Les femmes savantes", et une histoire de famille bourgeoise que la vogue de l'intellectualisme a divisé en deux clans. D'un côté, les rationalistes raisonnables qui veulent vivre selon leur cœur et leurs moyens. De l'autre les assoiffés de savoir qui, instrumentalisés par de petits maîtres intéressés, s'érigent en tyranneaux de la culture.

Les deux qui vivent somme toute en relatif bon entendement qui passe par une certaine tolérance de façade, jusqu'au jour où le désir de mariage d'amour d'une des filles avec un prétendant qui n'appartient pas au cercle des élus donne l'occasion d'une bataille rangée qui ramènera le bon sens et la raison au sein de la maisonnée.

Cette comédie délicieusement drôle, mais de critique néanmoins virulente, tout n'étant pas tant une charge antiféministe contre l'éducation des femmes et leur autorité au sein de famille que la dénonciation du snobisme culturel et du diktat des salons dans lesquels sévissent des pédants qui sont les pendants bourgeois des courtisans du roi, et de facture très classique, si on osait une telle tautologie, décline le thème de la préciosité déjà exploité dans "Les précieuses ridicules", pièce dont elle est l'écho en alexandrins.

Qui dit alexandrins entend vite la tragique déclamation des vers scandée par la métrique des vers qui tue le verbe de l'auteur et éprouve l'oreille du spectateur. Mais divine surprise, tel n'est pas le cas avec "Les femmes savantes" programmées cette saison au Théâtre du Nord-Ouest dans le cadre de son cycle Molière.

Dans ce de par l'économie de qui y préside, point de décors somptuaires, de scénographie pharaonique ou de mise en scène expérimentale. Dès lors, lieu idéal pour entendre le texte mais qui ne pardonne pas le défaut de technique et de jeu des officiants qui, même s'ils portent des costumes d'époque, ne peuvent se dissimuler derrière les velours, les fauteuils Louis XIV, les micros HF et la dramaturgie exploratoire du corps.

Pour le cycle Molière, Colette Teissèdre monte avec intelligence et brio "Les femmes savantes", et ce, de manière classique - ce qui ne veut pas dire, à la lumière de la connotation péjorative contemporaine attachée à ce terme, qu'il s'agit d'une mise en scène sclérosée pour matinée scolaire - avec une judicieuse distribution particulièrement homogène. Et c'est à peine si on devine les rimes tant le naturel et l'évidence président à la délivrance des répliques.

Par ailleurs, elle imprime à cette comédie de mœurs, un peu statique sur le plan dramatique, un rythme volontairement soutenu et le traitement de certains personnages, comme celui de la tante - vieille fille confite dans la chasteté et la pruderie qui fantasme sur son pouvoir de séduction universel à laquelle la subtile Françoise Rigal, légère et papillonnante, donne une couleur fantasque - y distille un peu de folie qui la tonifie.

Une réussite qui permet au spectateur de se mettre - ou remettre en oreille - la belle langue tout en finesse et en stylisation de cet opus qui ne comprend pas de grosses ficelles farcesques même si les scènes avec la servante au franc parler, interprétée rondement par Margareta Bluet, créent des pauses rieuses.

Les deux trissotins, puisque que le nom de l'un est passé dans le langage courant, sont interprétés avec mesure par Nessym Guetat et Arnaud Arbessier qui n'ont nul besoin de forcer le trait tant le discours fat de leurs personnages suffisent à en établir la vacuité.

Le trio juvénile est tout à fait convaincant et a le texte bien en bouche qu'il s'agisse de Emilie Duchênoy, jeune pécore pincée et sèche, de Guillaume Bienvenu, épatant galant, et de Julie Desmet, rayonnante dans le rôle de la pétulante sœur qui veut suivre les inclinaisons de son cœur et choisir les plaisirs des sens.

Entouré de Gil Geisweiller, en frère fidèle et sensé et de Yves Berthiau, Rému Oppert, qui excelle dans les rôles à double face, est un patriarche parfait, fanfaron plastronnant, vaniteux et pleutre filant doux devant sa moitié. Force est de constater qu'il s'agit d'une moitié péremptoire qui bénéficie en l'occurrence de la magistrale interprétation de Bérengère Dautun, grande comédienne sociétaire de la Comédie Française, bien évidemment en terrain connu.

De la belle ouvrage.