Monologue dramatique de Robert Schneider, mise en scène de Hans Peter Cloos avec Florian Carove.
"Je m’appelle Sad. En anglais Sad veut dire triste. Mais je ne suis pas triste." Ce jeune irakien vend des roses dans les restaurants de Vienne. Il est arabe. Presque une faute… Il n’est pas réfugié politique, seulement clandestin, un sans-papiers qui n’a pas le droit d’être là. Il le sait. L’asile ? Il ne le demande pas, il n’en a pas le droit parce qu’il ne risque pas la mort en Irak.
Après la guerre du Golfe, il a fait ses valises pour arriver en Autriche. Il a étudié la philosophie et la langue allemande. Il était heureux mais ne savait pas que dans ce beau pays, il n’était rien. Juste de la merde. Il revient sur son enfance à Bassora. Il se souvient des parties de backgammon avec son père et du goût du thé. Une saveur bien amère aujourd’hui.
Il répète sans cesse son prénom. Sad… Et ensuite ? Comme pour souligner qu’ici il n’est rien il prend soin de taire son nom de famille. Un nom porte malheur parce qu’il ne peut pas cacher ses origines. Il n’a pas le droit de vivre ici, il le sait. Il ne l’a pas mérité. Il culpabilise.
Il se fait bouc émissaire et exprime son complexe. Son sentiment d’infériorité face à ces gens à la peau claire. La sienne est foncé, ses pores sont grossiers, ses yeux trop noirs et ses cheveux trop foncés. Lui on le tutoie. Lui, il n’a pas le droit de s’asseoir sur les bancs publics. Lui, personne ne le regarde. Lui, il doit se cacher, changer de squat tous les soirs, sortir la peur au ventre et transporter sa vie dans un sac de voyage. Il ne mérité pas d’être là autant qu’il ne mérite pas de vivre. Il attend son heure. Il attend le coup fatal. Un coup porté par un de ces hommes à la peau blanche qui peuple les jardins publics ou celui d’un policier.
Il s’exprime, se livre face au public en prenant soin de ne jamais croiser son regard. Il baisse la tête. Parfois il s’abandonne et joue le rôle de ces gens à la peau blanche qui le jugent avant de le rejeter. Il balance alors les réflexions qu’il entend, les discours racistes et xénophobes auxquels il est confronté. Il pénètre leurs âmes et nous jette en pleine face des mots poignants, durs et provocants, aussi violemment que la puissance des voix qui l’habitent.
Avec cynisme il expose les préjugés auxquels les arabes doivent faire face : ils sont menteurs, n’ont aucune notion de l’amitié…
Le spectacle est une invitation, on nous propose une nuit avec Sad, une nuit dans la vie d’un clandestin. Une nuit pour comprendre le racisme, pour réfléchir sur notre société, sur l’humain et la politique. Le théâtre se transforme en lieu de réflexion politique, sur une question très actuelle.
Robert Schneider livre ici un texte profond, doux mais aussi violent et véritablement émouvant. Le théâtre devient un lieu de confidence entre le comédien et le spectateur.
Florian Carove, seul sur scène, passe du rire aux larmes, de la rage à la détresse. Face au public il se déchire, tremblant, transpirant il joue la douleur de l’étranger rejeté. Ce jeune comédien autrichien, qui joue pour la première fois en français, se révèle généreux et beau. Il nous transcende, nous touche. Un spectacle féroce qui ne peut laisser indifférent.