Je
n’ai jamais bien compris ceux qui affirment qu’il faut
se défier des a priori.
La plupart du temps le premier jugement est le bon, et le tout
n’est pas tant que le cap soit bon mais maintenu fermement
et la décision hardie. L’amateur de rock plus ou moins
indépendant est ainsi souvent jugé de mauvaise foi,
partial, et prêcheur pour une chapelle au pied de laquelle
il s’est échoué tout petit sans doute un peu
malgré lui.
Tout cela est certainement vrai, mais on se trompe alors en trouvant
pathétique cette forme d’intégrisme du bon gout.
Toute l’exquise habileté de l’entreprise réside
dans une esquive permanente pour éviter ses propres contradictions
("On a oublié deux choses dans la déclaration
des droits de l’homme : le droit de s’en aller et le
droit de se contredire"), mais il arrive parfois qu’un
pan de ses a priori conscienceusement étoffé autour
d’un numéro d’arrogance permanent se fissure
: une tempête imperceptible loin du déchirement interne
qui voit voler en éclats les certitudes de musicologue adolescent.
En effet l’heure est grave : et si finalement tout n’était
pas à jeter dans la "french touch"?
On se réjouissait tantôt de la disparition de la hype
autour de cette micro-scène qui a fait école en partant
de quelques lycées versaillais, au premier plan on retrouve
les petits gars astronomiquement surestimés de Air
: on leur accorde une bonne bande original de film (la cinéaste
ayant eu depuis moins de flair pour son nouveau long métrage
en déterrant les restes poussiéreux de My Bloody Valentine)
et quelques titres qui réussissent à nous prendre
par surprise ou sur un malentendu. Une branchitude dérisoire
au succès incompréhensible (quand on pense que Programme
n’arrivent pas à sortir ses albums des tiroirs!) et
alimentée par un revival sans honte pour réussir cette
grande escroquerie fin de siècle.
Ces quelques années durant lesquelles les frenchies ont
été omniprésents leur ont permis de dévoyer
à un niveau mondial bien des innocents (qui sait, sans eux
Beck ne serait peut être pas scientologue).
Cela étant il n’est plus (trop) question de fiel ici,
les talentueux versaillais ayant fini par retourner à un
anonymat relatif (tout est relatif), on pourrait croire le dossier
classé avec l’effet de mode tiédi, une affaire
définitivement close dont ne restent que des piles de cédés
dans les boutiques d’occasion peu regardantes
Mellow est ainsi un survivant atypique
de cette dynastie improbable qui revient après une grosse
ellipse qu’on pensait fatale. Le dossier de presse frise le
comique quand il tente de crédibiliser le groupe en le rattachant
à la co-écriture d’un titre de Air. A vrai dire
ce rattachement au mouvement morbide de Nicolas
Godin et J-B Dunkel est une maladresse
malheureuse quand il suffit de laisser parler le disque. En effet
sans y croire au début, l’album est plutôt bon.
Même bon tout court à vrai dire. Comme quoi.
Bien sûr on garde un a priori qui met un peu de temps à
s’évanouir quant à la relative proximité
formelle indéniable avec les artifices clinquants de Air
(le grand frère semble bien décidé à
squatter cette chronique), mais les influences et les points de
repère sont beaucoup plus larges et relativement élogieuses
: du sixties à tire-larigot et avant tout (on n’en
sortira jamais), Mercury Rev avant la
chute (Drifting out of sight), du Regular
Fries pour le psychédélisme en intraveineuse,
les Papas Fritas assagis dans la grisaille
parisienne et Gainsbourg bien sûr
(un incunable pour la french touch)…
Au final un grand disque pop fait d’une pop ludique, fraiche
et bien de sa personne et distancière. On pense un peu à
un Parsley Sound sans mysticisme pour
ce mélange de pop et d’électronique (aucun rapport
avec la vulgarité de l’électro-pop), il en ressort
de bons morceaux agréables aux univers oniriques et droles
qui s’enchaînent bien durant les cinquante minutes du
disque. On navigue de bon gré dans un flux curieusement anachronique,
fait de peu d’asperité à part sur "Out
of reach" sympathiquement rentre dedans (assez "à
la blur") mais même là les saletés sont
propres gommées par cette propension à arrondir les
angles ("heureusement il y la viande").
Le grand écueil (évité) de ce genre d’entreprise
reste à mon sens les morceaux en pilote automatique (dont
Air sont les champions incontestables). Ici le format est très
clairement orienté chanson (contrairement aux précédents
albums) et là encore "pop" ce qui permet d’échapper
à cette tentation soap. Le seul morceau qui s’écoute
un peu lui même et le titre de fermeture de l’album
("hidden track") gentiment
atmospérique et plus électronique que le reste de
l’album où encore et toujours on retrouve le spectre
de Air au détour d’une nappe évanescente.
Pour l’occasion en plus de l’attirail classique on
a sorti des tiroirs (voire du musée) theremyns, moog, mellotrons,
et puis quelques cuivres et cordes pour illuminer la production,
en réél ou en virtuel, tout cela étant en effet
enregistré et produit essentiellement au home studio du duo
(un ProTools vaut largement un Nigel Godricht
en petite forme). Ceci pour couper l’herbe sous le pied de
ceux qui prétendent que seuls les gros labels permettent
l’accès à une production en grand studio et
ainsi de sortir de l’amateurisme ; c’est peut être
un des seuls fruits des artistes de la french touch : nous prouver
que l’on peut sortir des disques archi-produit riches en curiosités
sonores sans sortir de son appartement.
Ici la production est extrêmement léchée et
ne sent pas le renfermé à la différence de
certains home recording cheap, relativement souple et riche, très
loin d’un enregistrement lo-fi et clairement retravaillé
intensivement ce qui donne cette idée de luxuriance sonore
controllée et arrondie. Pas de recette appliquée pour
autant, l’artifice reste pour le coté ludique mais
l’album va vraiment quelque part, les chansons sont réussies,
parfois vulnérables comme sur" In
the meantime popsong" assez basique sur toutes les mauvaises
raisons d’écrire une chanson, et souvent entêtantes
sans gimmick facile qui met la main aux fesses comme Bosco
et compagnie.
Au niveau des paroles cela reste assez déluré (très
pop donc), sans ambition mais sans gene : on s’amuse ainsi
sur des morceaux comme "Love ain’t
the answer" ou "It was raining"
qui font un portrait pince sans rire de l’image qu’on
se fait de la clique en question, une sorte d’image d’Epinal
du jeune versaillais branché, playboys et nouveaux minets
du drugstore. (“crac boum hue”)
Cette musique doucement acidulée, pop sucrée par
excellence visite rarement les royaumes merveilleux du label
Elefant 6 et de sa folie furieuse psychédélique,
en effet à l’image du livret le contact reste glacé
et sans aspérité, sous un contrôle sans grosse
ficelle mais omniprésent. Si en contrepartie le disque y
garde en fraicheur et en fluidité, il reste que les meilleurs
albums pop et innovants sont ceux qui assument d’avantage
le coté débridé de la production (the
Unicorns actuellement ou Olivia Tremor
Control il y a peu).
Le parti pris n’est donc pas celui de l’exubérance
de l’originalité mais de revisiter avec innocence et
professionalisme une musique sixties dont on ne s’est jamais
vraiment remis. De ce point de vue le défi est rempli et
donne un pendant de bonne qualité à des disques plus
torturés, c’est à dire la musique de névrosés
usuelle qu’on affectionne dans ces pages. Ici il faut sur
le principe accepter cette musique molle, artificielle et anachronique
sans être has-been, pour commencer à savourer une oeuvrette
sympathique.
Sans répondre à une ambition démesurée,
ce Perfect colors réussit
le pari insensé de nous réconcilier avec la french
touch (une scène liée intimement à un cercle
de personnes), à éviter le ridicule, et à faire
dans son genre un album à conseiller pour mettre de bonne
humeur ou pour écouter un bon disque tout simplement.
Cette heureuse découverte effectuée, on prend peur
d’avoir jugé sur une impression fugace l’ensemble
de la bande de cette touche française. On se jette alors
avec fébrilité sur un disque de Air perdu dans l’étagère
poussièreuse des artistes français, mais heureusement
on éclate de rire devant l’indigence de 10000 Hz pas
sauvés par le timbre de Mr. Hansen. Ouf pas de remise en
cause en début d’année, ce Perfect colors est
une réussite isolée et à la vie indépendante.
Tant mieux et tant mieux.
Mellow sera en concert au Café de la Danse le 3 février
2004
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