Dément, grandiloquent, on l'imagine un peu gauche, en plein délire, engoncé dans un costume étriqué, désarticulé, messianique et dérisoire – immanquablement accrocheur, avec ses vrais-faux airs de Joy Division et Einsturzende Neubauten, "Even if the fields, the rivers and the places" est une merveille de titre d'ouverture pour un album.
On avait laissé Belone Quartet il y a près de deux ans sur leur premier opus, Les prémices de la béatitude naissent de l’amertume (Kythibong Records, janvier 2007), premier pas aussi discret que prometteur, qui puisait une part importante de son inspiration dans le répertoire des années 80. Avec 1802, son successeur au titre d'une concision heureuse, le duo remet sur la table cette musique aux saveurs d'autrefois cuisinées à la sauce du jour, pop synthétique et rock en noir, volontiers minimaliste, qui a le bon goût de ne jamais sentir le réchauffé.
Et si c'est certainement dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes, Antoine Bellanger et Benjamin Nerot n'ont pas hésité à enrichir encore leur répertoire. Mélodies néo-kraftwerkiennes (le minimaliste Tidal Wave), bruitisme électro-indus ("The Cure") et gospel synthétique (l'excellent et hypnotique "O'Anna", certainement l'un des points culminant de l'album) se bousculent ainsi pour créer une ambiance originale, toute de retenue derrière son apparente indifférence glaciale.
Noir sans complaisance, l'univers de Belone Quartet garde toujours quelque chose d'intime, une certaine pudeur tranquille, quoique la colère et la folie ne semblent jamais loin. Jouant des contrastes (la nonchalance obsédée, métronomique, de ces manières de percussions électroniques contre la fièvre des guitares sur "Time" en sont un exemple saisissant) et des répétitions ("I'm dying, dying, dying dying dying" scande à l'envi "Bad winter nights"), le duo sait à merveille créer une atmosphère et une tension.
Intime et entêtant, mélancolique, ce 1802 a, en bref, toutes les qualités qui font un album favori – l'un de ces albums qui, sans être objectivement les plus recommandables, les plus raffinés, élaborés, irréprochables d'une discothèque, sans virtuosité ni affectation, sans autre génie que celui de savoir répondre aux sentiments de l'auditeur, se laissent écouter avec boulimie. L'un de ces albums évocateurs que l'on écoutera jusqu'au dégoût pour finalement les abandonner un jour, rassasié de ces idées-là, en sachant qu'ils nous attendront toujours là, prêts à nous faire retrouver instantanément à leur écoute toute une vie passée, presque oubliée. Et qui se soucie des qualités objectives de la musique ? N'est-il pas plus important d'être heureux d'être malheureux ? C'est, en tout cas, l'une des voies musicales qui s'est ouverte dans ces années 80 où Belone Quartet trouve une si talentueuse inspiration. |