Quelle belle initiative ont eu là les éditions du CNRS de publier ce livre aux couleurs intenses et au doux nom de Zanân, le Journal de l’autre Iran !
Zanân, c’est en fait à l’origine un magazine féminin et féministe iranien paru pour la première fois en 1992, conformément à la demande d’une presse féminine islamique exprimée en 1979 par l’Imam Khomeiny, puis interdit à la publication début 2008. Aujourd’hui, le livre homonyme est un album contenant des extraits d’articles et des entretiens, le tout illustré de couvertures de quelques-uns des 153 numéros ainsi que de photos.
En plus d’être un hommage à la publication mensuelle, il s’agit là surtout d’un témoignage de la vie des femmes iraniennes, qui ont un rôle de plus en plus important et actif dans la société. Des femmes qui comptent parmi elles 20 fois plus d’écrivains que dans les années 30, qui représentent la majorité des candidats à l’université (56% en 2000), et qui excellent dans des domaines divers, que ce soit artistique (écriture, peinture, stylisme, cinéma…), technique (balistique, recherche) ou bien sportif (golf, alpinisme). Enfin, des femmes qui comptent parmi elles un Prix Nobel de la Paix : Shirin Ebadi.
Et pourtant, leur vie vaut la moitié de celle d’un homme (d’après le "prix du sang") et leur parcours est empli d’obstacles tels que le projet de loi sur la famille qui défavorise les femmes ou bien les inégalités en tout genre, que ce soit dans l’accès aux études - avec des quotas qui leur sont imposés pour certaines matières – ou à l’entrée d’un stade de football. Inégalités dont l’Iran est largement imprégné et que Shahla Sherkat, fondatrice et éditrice de Zanân, et son équipe n’ont pas hésité à soulever. Ils ont œuvré activement pour apporter cette indispensable stimulation intellectuelle et dénoncer certaines lois.
Le livre dévoile par ailleurs un magazine plein de contrastes, à l’image de la vie des Iraniennes, où les articles soulignant les progrès encore très insuffisants en ce qui concerne la considération de la femme côtoient d’autres textes s’adressant à la femme moderne qui sommeille dans chaque Iranienne. Les conseils vont bon train sur l’art de cuisiner plus sainement, sur la lutte contre la pollution ou comment avoir un moral d’acier. L’article "Les petites récréations de la vie" est à ce sujet drôle et pertinent, car en lisant "Annulez le dîner dont la perspective vous assomme" ou "Prenez un interminable bain", on se rend compte à quel point certaines préoccupations peuvent être les mêmes à Paris ou à Téhéran. C’est aussi un bel exemple des paradoxes qui emplissent la vie des Iraniennes, tiraillées entre la pudeur et la retenue héritées de l’enseignement religieux - "Demandez-vous quand vous avez embrassé votre mari pour la dernière fois" - la traditionnelle soumission féminine - "Passez l’aspirateur avec soin. Faites briller toute la maison" - et la modernité féministe - "Apprenez à dire "non" en répétant devant la glace".
Ce livre est un remarquable témoignage de ce bouillonnement de pensées dont ont bénéficié les lectrices (et lecteurs !) durant seize ans. Zanân, mot Perse désignant la "femme", est un bel hommage à ce qui était plus qu’un magazine mais un porte-voix des iraniennes. C’est une œuvre richement illustrée, à ajouter à nos "petites récréations de la vie", à lire absolument. |