La voix enjôleuse, Charlotte, à la française, mais aussi à l'anglaise, Charlotte, en apesanteur ou prise dans les densités réalistes, Charlotte mutine, Charlotte muette mais en musique, Charlotte fragile, pudique, Charlotte rebelle, sombre Charlotte, dans des états accablés, des constats, Charlotte, Charlotte se love, aussi, se fait si elle veut amoureuse défaite, Charlotte paumée, un peu, Charlotte, à la folie passionnément, Charlotte ou la sensualité électrique du porc-épic une nuit d'orage, cette écorchée, Charlotte, qui chante la vie, la sienne, les nôtres, qui dit ce qui se cache dans les coins sombres, les nôtres, les siens, Charlotte en plongée, apnée, en elle-même, Charlotte, belle plume et rock ténébreux, lacéré d'éclairs, fulgurances, déchirements, Charlotte, en toute tension, Charlotte, Charlotte, Charlotte et caetera.
Il faut bien reconnaître que l'impression qui domine Nous ne savons plus qui nous sommes, c'est d'entrer, un peu invité, un peu voyeur, dans l'intimité d'un véritable auteur : Charlotte Guy, qui donne son nom, sa voix et sa jolie plume au projet Charlotte etc. Quand à "etc.", ce serait en l'occurrence surtout Yann Féry, guitariste et complice, qui réalise l'album, signe la photo de couverture et ajoute sa signature à presque toutes les compositions de l'album.
Fruit de la collaboration de ces deux artistes, les onze titres ici réunis donnent à entendre de belles atmosphères tendues, qui naviguent entre pop sensuelle et déclamation rock. Les textes sont des plus soignés, les compositions particulièrement riches et l'ensemble est servi par une production impeccable. Aucune raison de bouder son plaisir, donc, et l'on se laissera volontiers emmener par la sombre poésie de l'album sans jamais y trouver aucune concession à la facilité, l'imitation ou l'autosatisfaction qui étouffent parfois toute l'inspiration des projets de ce type, encore trop rare dans l'univers du rock français.
Tout au plus pourra-t-on se demander si l'on préfère la fausse candeur de "Sauve-moi" (adaptation en français du "Bluer than midnight" du groupe The) ou la sensualité désespérée de ce "Le convoi", pas si loin de P.J Harvey ; hésiter entre la révolte et l'abandon aux fulgurances poétiques de certains textes, qui réjouiront les amateurs de la plume du Bertrand Cantat de "l'Europe" ou "Nous n'avons fait que fuir", mais portent sur notre monde un regard oblique ("faut-il encore un tour de l'histoire qui bégaye ? Assurément nous vivons obscurément" proclame "Les mots violents", le titre d'ouverture, quand "Label société" lui répond en conseillant ironiquement de "construire avec des armes et détruire le passé, se nourrir aux engrais et prôner la sécurité, protéger ses enfants de tout contre-courant").
Trois après un premier album resté confidentiel (Bouquet d'épines, avril 03), Charlotte etc. lance donc dans la marre du rock français un pavé d'ampleur, d'une ambition aussi heureuse qu'atypique. Inspiré, inventif et pourtant immédiatement accessible, Nous ne savons plus qui nous sommes réussi le tour de force de la finesse et de l'intelligence – qui pourrait bien propulser Charlotte etc. au devant de la scène. |