On a beaucoup parlé du "changement de registre" de Franz Ferdinand à l'occasion de son troisième album, qui aurait vu le quatuor délaisser le rock qu'il avait presque réinventé en 2004 pour une musique plus électronique, plus dansante. Plan com' aux petits oignons ou véritable revirement musical de la formation écossaise ?
On a beau le retourner dans tous les sens, ce Tonight : Franz Ferdinand, disséquer la métamorphose iconographique, relire les interviews d'Alex Kapranos, chanteur et porte-parole du groupe, on n'arrive pas à trancher défintivement la question. Quelle autre solution alors que d'aller vérifier par soi-même ? C'est dans cet esprit que je me suis précipité à l'Aéronef de Lille ce 16 mars 2009, ravi d'avoir trouvé au coupable désir d'une soirée de concert un prétexte journalistique.
Pourtant, l'affaire n'a pas été facile à élucider. Premier élément troublant : Kissogram, la formation que Franz Ferdinand a choisi pour assurer sa première partie tout au long de sa tournée. Trio berlinois ayant débuté, comme duo, sous un nom ou d'autres, en plein coeur de la scène techno underground, puis évolué vers des compositions électro-rock aux couleurs new-wave, néo-industrielles et synthétiques, avec peut-être quelques touche de brit-pop et de ska.
Sur scène, un batteur, un bricoleur derrière ses machines et un chanteur-guitariste, qui partage avec un grand affichage lumineux au nom du groupe la difficile tâche de remplir l'espace.
Dansante, pour ne pas dire sautillante, leur musique participe du même brouillage de piste que l'on était justement venu élucider chez Franz Ferdinand. On n'est donc pas plus avancé, mais il faut reconnaître que l'on passe un excellent moment en leur compagnie – et le public ne sera pas avare d'applaudissements.
Après le changement de plateau rituel, les quatre écossais entrent en scène pour ouvrir le concert sur "Do you want to ?", le grand tube de leur deuxième album (You could have it so much better with Franz Ferdinand). Une façon de s'ancrer encore dans le passé ?
De fait, il faut reconnaître que la setlist n'a rien du classique promo tour mais équilibre plutôt bien les différentes étapes de l'histoire musicale de la formation. Ainsi, sur les dix-sept titres joués ce soir-là, six seulement sont extraits du dernier album, le reste se répartissant équitablement entre les deux premiers opus du groupe, qui égrène sur scène son inépuisable répertoire de tubes, sous les exclamations d'un public satisfait : "Do you want to", on l'a dit, mais aussi : "Dark of the matinee", "Auf Achse", "Michael", "The Fallen", "Walk away", "Take me out", "This Fire"... Bien sûr, l'absence de "Jacqueline" a quelque chose de scandaleux, mais les succès s'enchaînent de façon si serrée qu'il est difficile de ne pas être convaincu.
Et le nouvel album, le nouveau son de Franz Ferdinand ? Il faudra attendre le sixième morceau pour pouvoir y jeter une oreille avec "Twilight Omens". Et là, force est de reconnaître que c'est un véritable tour de force qu'ont accompli les écossais : celui d'enrichir leur musique d'un horizon clubbesque, électronique, sans pour autant jamais sortir du rock, ni perdre leurs couleurs distinctive.
Franz Ferdinand s'est mué en monstre impossible, résultat d'une hybridation risquée. Ils perdent en effet sur scène de cette précision un peu glaciale qui fait sur disque tout leur style, pour gagner une certaine urgence un peu brouillonne qui les rapprocherait de groupes comme les Kinks ou les Who, ces gentils rebelles en costumes. Mais, d'un autre côté, Alex Kapranos ou Nick McCarthy, le guitariste, abandonnent parfois leurs instruments pour aller se pencher sur un clavier Moog d'où ils tirent des sonorités très différentes. Pour preuve, le final électro-apocalyptique de "Lucid Dreams", presque technoïdal, sur lequel le groupe fera sa sortie, juste avant le rappel de rigueur.
Franz Ferdinand n'a pas changé de route. Il a simplement su s'enrichir de nouvelles sonorités, prendre la liberté d'ouvrir un peu plus largement l'horizon du rock. "Ulysses", single incontournable et premier titre du rappel ce soir-là, en est l'exemple parfait.
Sous les images arty d'un écran géant, fragments démultipliés de musiciens, oscillations fractales psychédéliques, ou images live du public, c'est cette nouvelle liberté qu'exploite le groupe, qui se permet de passer d'un registre à un autre sans jamais perdre son identité propre, ayant réussi à apprivoiser sans effort apparent des univers très différent. Avec une belle énergie, la formation emmène ainsi derrière elle un public ravi, qu'elle fait chanter et danser avec une facilité insolente.
C'est donc un concert de rock en bonne et due forme qu'a donné ce soir son altesse Franz Ferdinand, fidèle à sa réputation. Un concert tout en énergie, générosité et simplicité, avec ses mélodies acrobatiques, ses assauts électriques, léger comme le rock lui-même, cet insouciant, qui s'achèvera en beauté, sur une version explosive de "This fire" – suivie par une très réelle évacuation de la salle pour alerte incendie. Ça ne s'invente pas. |