Réalisé
par Jia Zhang Ke. Chine. 2009.
Documentaire. Avec Joan Chen,
Zhao Tao et Lu Liping.
24 City est un film étonnant ! A travers la disparition d’un site industriel et de sa cité ouvrière au profit d’un projet immobilier de résidences haut de gamme baptisé 24 City, le réalisateur nous dresse un portrait singulier de la Chine actuelle vacillant entre une ère Maoiste crépusculaire et un avenir "libéralo-communiste".
24 City est rythmé par la succession alternative de portraits d’hommes et des femmes, d’âges et de conditions sociales très différents dont le point commun est le lien qu’ils entretiennent avec ces lieux. Tous ont laissé ou laisseront un morceau de leur histoire en ces lieux démesurés. Le réalisateur les filme seuls laissés à leurs souvenirs et leurs rêves et entre chacune de ces rencontres, il laisse place à des plans magistraux sur le démantèlement du site. La charge émotive de chaque témoignage nous transporte et nous rapproche étrangement de ces hommes et ces femmes qui vivent de l’autre côté du globe. La magie opère et en quelques minutes nous frissonnons à l’écoute du récit par un ancien ouvrier de son premier amour vécu quelques années plus tôt en ces mêmes lieux. Ou bien encore cette ouvrière qui se rappelle de ses émotions de petite fille lors de la dernière visite de sa grand-mère qui n’a pas hésité à plus de 80 ans à traverser le pays ne supportant plus une séparation de presque toute une vie. L’expression est sûrement "clichée" mais le réalisateur saisit avec brio les histoires extraordinaires de ces vies ordinaires et les croise avec la grande, celle d’un pays en phase de devenir une des premières puissances mondiale.
Malgré la composition du film sur la base de témoignages, 24 City n’en est pas pour autant un documentaire. Le réalisateur joue de la frontière ténue entre documentaire et fiction en introduisant parmi les témoignages de personnes réelles avec ceux écrits pour des comédiens et plus précisément des comédiennes. Le réalisateur ira même jusqu’à filmer le témoignage d’une ex-ouvrière singulièrement belle qui nous confie qu’on la comparait souvent, quand elle était plus jeune, à une toute aussi jeune et jolie actrice d’un succès populaire des années 1970 qui n’est autre qu’elle (oui, c’est compliqué mais je vous avais prévenu). On pourrait crier à la tromperie. Pourtant, c’est peut-être le vrai tour de force de 24 City : à aucun moment ces intrusions de la fiction parmi des séquences de la "vraie vie" ne sont inappropriées ou incongrues. Au contraire, elles viennent enrichir magnifiquement la démonstration des effets de la mutation d’une ville, d’un pays aux dimensions vertigineuses.
Je ne saurai que trop vous conseiller 24 City pour aller vivre une expérience surprenante qui, au-delà de la découverte d’un procédé ingénieux, nous fait vivre de réels instants de grâce. |