Comédie dramatique de Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas Ostermeier, avec Josef Bierbichler, Kirsten Dene, Cathlen Gawlich, Felix Römer, Sebastian Schwarz, Elzemarieke de Vos et Angela Winkler.

Thomas Ostermeier, figure de proue du jeune théâtre allemand, co-directeur de la Schaubühne Lehniner Platz de Berlin, le géant à la quarantaine juvénile, dans sa tenue street wear, pantalon baggy et sweat à capuche, ovationné à la fin de la représentation, présente "John Gabriel Borkman" de Henrik Ibsen au Théâtre National de l'Odéon.

Un spectacle exceptionnel de maîtrise, de rigueur et d'intelligence en cohérence absolue avec un parti pris plastique et esthétique résultant de la scénographie de Jan Pappelbaum : un décor white cube ouvrant sur une immense baie qui ne distille rien d'autre qu'un épais brouillard, qui se transforme en nappes de brume d'outre tombe, pour représenter ce manoir sépulcral devenu la tombe de ses occupants dans lequel se jouera le dernier acte de ce qui pourrait n'être qu'un mélodrame et qui devient par la puissance du verbe un drame, celui de la destinée humaine.

Une mélopée électronique post gotique de Nils Ostendorf, quelques meubles de ce design scandinave aussi minimaliste que rigide, rien pour détourner l'attention du spectateur. C'est dans cet univers minimaliste, aseptisé, clinique, qu'intervient le scalpel d'Ibsen que Thomas Ostermeier manie avec virtuosité pour révéler que tous les hommes sont faits de la même pâte humaine qui les condamne à la solitude et au désespoir

Telle une apparition, une femme surgit de la brume pour réveiller le passé. Celui de la grandeur et de la déchéance d'un homme qui a tout sacrifié à la réalisation d'une rêve prométhéen et qui vit aujourd'hui reclus sans avoir renoncé à son rêve.

Et une triple rivalité de femmes en souffrance, entre elles sœurs jumelles, envers le même homme, envers l'enfant unique élevé successivement par chacune d'elles conçu comme l'instrument de leur revanche légitime.

Sur scène, une distribution exceptionnelle dont le jeu profond de maîtrise et sans faille écartent toute question tenant à l'actualisation d'un texte écrit il y a plus d'un siècle, ni, pour le public non germanophone, sur le fait qu'elle se joue en allemand sur-titré.

Une distribution exceptionnelle avec un quatuor impressionnant : Sebastien Schwarz, le fils, grand jeune homme mou qui refuse au nom de la jeunesse et de la vie d'être instrumentalisé, Kirsten Dene, l'épouse humiliée qui ne vit que dans l’espoir d'une réhabilitation sociale, Josef Bierbichler, démiurge pathétique, et la subtile Angela Winkler, qui transfigure l'héroïne à l'amour brisé.