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Interview  (Paris)  9 Fevrier 2004


Somebody insulted me in the pub, I want to sing about it

Interview de Kevin Coyne et Jeffrey Lewis, avant leur concert au Nouveau Casino à Paris, le 9 février 2004.

L'argument de la soirée Froggy’s Delight du 9 février, consistait en la rencontre de deux musiciens qui, malgré l'écart générationnel - trente ans les séparent- ont d’évidents points communs. Leurs textes délirants et fun, leur façon expéditive d’enregistrer, leur attitude critique face au show-biz, créaient un pont entre les années 70 anglaises et le New York des années 2000…

Quand deux musiciens se rencontrent, de quoi parlent-ils ? Pas seulement de musique… mais aussi du business, des arnaques, du contrôle impossible de leurs affaires, de la difficulté d’accorder leur confiance. Au final, le vieux routard n’a pas de leçon ou de dogme miracle à délivrer au jeune loup…

Ils parlent aussi de la low-fi comme dénominateur commun, de la solitude du peintre ou du dessinateur comparée à l’excitation de la scène, de l’improvisation, qu’ils mettront en pratique une heure plus tard pour un mémorable rappel…

Rencontre de deux artistes qui ont oublié d’être idiots.


Kevin, tu avais entendu parler de l’Anti-Folk avant d’écouter les disques de Jeff ?

Kevin Coyne : Non, pas vraiment mais de toute façon, moi je suis anti folk, je suis contre le folk ! Mais ce n’est peut-être pas la même chose... Comme tu le disais, l’Anti-Folk, c’est un terme pour journalistes. Je ne suis pas bien sûr de quoi il s’agit en fait.

Jeffrey Lewis : C’est formidable mais je crois que c’est la première fois qu’un Européen voit juste à ce sujet ! L’Anti-Folk, ça ne veut rien dire. On me demande à chaque interview : "Qu’est est le message du mouvement Anti-Folk ?". Mais il n’y a rien à en dire…

Les journalistes aiment bien mettre des étiquettes sur les musiciens.

JL : En fait, je suis bien content que ça existe parce que ce que je fais a l’air plus interessant. C’est un titre qui attire les gens. Si je me contentais d’être un chanteur-compositeur, j’aurais l’air d’un imbécile.

FD: L’AntiFolk c’est aussi la low-fi. Qu’est-ce que tu en penses, Kevin?

KC : La low-fi ? Bien sûr, moi même, je suis low-fi ! Mais pas ce soir ! La plupart du temps, je suis très très low-fi. Je ne connais que deux accords, ça m’a toujours suffit !

Tu dirais que tes enregistrements studio sont low-fi ?

KC : Oui, le dernier album qui va bientôt sortir… en fait, c’est difficile de faire de la low-fi de nos jours. Quand j’ai commencé, on avait des deux ou des quatre pistes, donc, c’était nécessairement low-fi parce qu’on n’avait jamais assez de pistes. Mais aujourd’hui, tout est sur ordinateur. On n’a plus besoin des bandes, des tables. On fait tout chez soi !

JL : On m’a déjà posé si souvent cette question que j’ai finalement trouvé une réponse qui va peut-être plaire à Kevin : il faut voir la low-fi comme le contraire de ce qu’on y voit habituellement. La fidélité, c’est la vérité et la vérité se perd dans les enregistrements dits hi-fià cause des overdubs et de tout ce procesus de nettoyage et de perfection. En final, on est loin d’être fidèle au son créé au départ.

On perd l’émotion.

JL : Oui. Quand tu enregistres, tout ce qui se passe à ce moment-là est un reflet fidèle de la vérité de cet instant. On en arrive au contraire de la définition habituelle. C’est vrai ce que dit Kevin : avec le numérique, c’est très difficile de faire un enregistrement low-fi. Il faudrait vouloir le faire exprès et c’est complètement l’opposé de la démarche. Il faut se contenter de jouer, c’est tout.

KC : Sinon, ça sonne un peu artificiel.

JL : Oui.

KC : Quand tu entends ça, tu te dis "Pourquoi ca sonne comme ca ?". Ils font exprès d’avoir un son pourri. Il faut de la simplicité et de l’honnêteté pour être aussi proche que possible de l’interprétation des musiciens. Ce n’est pas toujours facile.

Cela nous amène bien sûr à Daniel Johnston. Kevin, tu le connais ?

KC : Non.

C’est un Texan…

JL : Il est formidable.

C’est vrai. Il a enregistré des tas de cassettes au début des années 80. Il avait un petit magnéto à cassette et il tapait sur son piano. Le son était très mauvais : ça, c’était dela low-fi !

JL : Mais les chansons sont formidables.

KC : Si les chansons sont bonnes…

Oui, c’est un excellent songwriter.

JL : D’après la légende, il n’avait même pas de double platine magnéto. Quand quelqu’un voulait un de ses albums, il ré-enregistrait toutes les chansons dans le même ordre.

KC : C’est très bien, c’est même quasiment parfait. C’est quelque chose que j’ai toujours essayé d’atteindre depuis les années 70…

Oui, l’émotion est présente, si tu arrives à enregistrer sans rien avoir à ajouter…

KC : Oui et c’est ce que j’ai toujours voulu faire depuis la première fois que j’ai mis les pieds dans un studio d’enregistrement : s’approcher le plus possible de ce que je ressentais et de la façon dont jouait et sonnait le goupe. Mais, il y avait toujours des producteurs pour m’emmerder. Les gros labels t’imposent toujours des types qui sont censé être parfaits. A part Steve Verroca qui a produit Marjory Razorblade, qui était le producteur de Link Wray et qui avait de bonnes idées. Link Wray était un peu low-fi de toute façon… Les autres producteurs ne comprenaient rien à rien ! Tous ces types d’Atlantic Records… si je vous racontais… Même Nick Mason du Pink Floyd voulait me produire et j’ai refusé.

Ils t’ont fait enregistrer “Fever”. Une version disco de “Fever”!

KC : Oui, avec grand orchestre et tout le bordel et produit par Mort Lange ! C’était sa première production. Maintenant, il a épousé… comment s’appelle-t-elle ? A l’époque, c’était un Africain du Sud fraîchement débarqué d’Afrique du Sud. Il était venu me voir. Je lui avais dit "Je ne veux pas ! Pas question !". Il a mis des arrangements partout. J’ai refusé d’aller voir ça. Je me suis contenté de chanter sur les backing tracks.

C’est un des pires disques de Kevin Coyne !

KC : Oui. Non ! C’est très bien ce que j’ai fait là-dedans !

JL : C’est dans quel disque ?

C’est un single.

KC : Il y a eu deux singles. On a fait aussi "Walk on by". Mais, ce que je faisais là-dedans, moi, c’était très bien. Ca a eu du succès.

Orchestre à cordes et tout le bazar.

KC : Oui, le grand orchestre.

Jeff, tu n’as pas ce problème avec les producteurs ?

JL : Personne n’a jamais proposé de nous aider

Ca te plairait ?

JL : Je me dis que ca serait bien que quelqu’un qui ait de bonnes idées collabore avec nous. Je ne sais pas comment on fait des disques, c’est un art à part entière et moi, je ne suis vraiment pas doué. L’idée de faire un album, c’est une chose, écrire des chansons qui te paraissent valables, c’en est une autre mais ce n’est pas pour ca que tu sais faire un album. Surement, ça serait bien si quelqu’un qui savait faire des albums venait nous aider. Souvent, je n’ai aucune idée de ce qu’il faut faire.

KC : Méfie-toi… Crois-moi, méfie toi. Je crois que ce que tu fais en ce moment, c’est bien. Tu as su éviter le côté maniéré, un peu cucul, qu’on entend souvent. Je pense surtout à Loudon Wainwright. Je ne peux pas le supporter.

JL :"The Magic Number Four"

KC : Et son fils s’y met aussi maintenant !

JL : Je ne sais jamais qui est qui entre eux deux.

KC : C’est propre, c’est mignon, un peu comme John Martyn. J’ai fait une interview pour Uncut dernièrement où je disais que je détestais les chansons bien-faites, bien comme il faut, avec un pont… tout ce côté McCartney. Je n’ai jamais aimé les Beatles. Et j’ai toujours essayé d’éviter toute cette merde. Je déteste ca. "Bonne chanson, ca !".C’est ce que te disent les producteurs.
Je me souviens la première fois que j’ai enregistré pour la BBC, c’était en 1968 : on arrive et on joue une chanson qui s’appelle "Soon" de l’album Siren et le pont est un peu bizarre dans cette chanson ; et le producteur nous dit : "Ca ne va pas ! Ca n’est pas comme il faut !". Je lui ait dit : "Fuck off! C’est notre chanson !". Tu vois le genre, la BBC, le type qui fume la pipe. Incroyable. Enfin, j’ai des millions d’histoires dans ce genre. Je vais essayer de vous les épargner.

J’ai parlé avec Steve Bull qui jouait des claviers avec toi [Kevin] au début des années 80. Il me racontait que lorsque tu voulais enregistrer un nouvel album, tu demandais de l’argent à la maison de disques – Virgin à l’époque je suppose – et ensuite, tu louais un tout petit studio et tu enregistrais très vite en quelques jours pour pouvoir garder l’argent qui restait pour payer ta maison.

KC : Oui, enfin, pas pour payer la maison, plutôt pour me payer du bon temps, des vacances et puis, j’avais deux enfants…

Ca me paraît très bien : là-encore, c’est de la low-fi.

KC : C’est vrai, on enregistrait vite… il faisait des tas de couches de claviers compliqués. Moi, je disais "On va faire simple !". J’improvisais les textes et c’était réglé.

Il voulait tout ré-enregsitrer mais tu n’as pas voulu ?

KC : Cet album-là [Politicz] a été enregistré par le duc de Montenegro ! Un type de la famille royale, il était allé à l’école de Eaton, un peu snob. C’était lui l’ingénieur du son… C’est vrai… Enfin… C’est pas vrai, tu sais cette histoire… pour payer ma maison ! Conneries ! J’avais bien assez pour payer ma maison !

La première fois que j’ai pensé à vous faire jouer ensemble, j’ai demandé à Jeff de m’expliquer comment il organisait sa carrière et ses tournées. Tu peux nous résumer ca ?

JL : Tu envoies des mails à tous le gens que tu connais en Europe en leur demandant s’ils peuvent te trouver des shows. Avec un peu de chance, il y en a assez qui répondent avec des dates pas trop éloignées qui peuvent faire une tournée. Et après, tu pars jouer.

Tu me disais tout à l’heure que tu n’as plus le temps d’écrire des chansons ou de dessiner tes comics.

Ca fait un an et demi qu’on fait ça. Au début, c’état une expérience formidable de partir en tournée et d’avoir comme public des gens qu’on ne connaissait pas. Ca nous changeait de New York. Mais quand on y réfléchit, et maintenant qu’on a fait ça plusieurs fois, je vois que j’ai passé l’année dernière à m’occuper de ça et que j’ai eu de moins en moins de temps pour faire autre chose que tous ces e-mails…

Beaucoup de travail.

JL : Oui.

KC : Helmi [la femme et manager de Kevin] s’occupe de tout ça maintenant. Mais j’ai eu des tas de managers. Je me suis débarrassé du dernier il y a trois ans.

Tu crois que tu pourrais t’en passer?

KC : Pas vraiment. Il faut que quelqu’un s’occupe de ça et c’est mieux si ce n’est pas toi. A un moment, j’organisais moi même les tournées, c’est ingrat et pas mal déprimant. Etre obligé de se vendre…

JL : Oui, c’est pénible.

KC : Ce n’est vraiment pas agréable.

JL : Le côté positif, c’est que tu es au courant de ce qui se passe. La seule fois où quelqu’un a géré ça à notre place, on avait des mauvaises surprises chaque jour : ils nous louaient des batteries alors qu’on n’en avait pas besoin, des amplis, des chambres d’hôtels alors qu’on voulait dormir chez des amis… des tas de dépenses inutiles : un tour-manager dont on ne voulait pas et qui était payé avec notre argent. Des surprises de ce genre jour après jour. Donc, même si c’est du boulot de le faire moi même, au moins, je sais ce qui va se passer et qu’il n’y aura pas de dépenses inutiles.

Kevin, tu connais la chanson de Jeff “Don’t Let The Record Label Take You Out To Lunch” ?

KC : Je me souviens du titre mais pas des détails.

JL : Je suis sûr qu’il en est passé par là.

KC : Oui. Ils invitent souvent au restaurant. Enfin, plus tellement ces temps-ci.

JL : Ca serait bien si quelqu’un voulait bien nous aider de la façon dont on a envie qu’on nous aide et pas d’une façon dont on ne veut pas.

KC : Il te faut quelqu’un qui te comprenne. C’est difficile à trouver.

JL : Oui, je ne sais pas…

KC : Quelqu’un comme toi, Pascal.

NDLR : Hum… [rires]

KC : Je suis sérieux, un type comme lui, il bosse, il fait ce qu’il faut, il sait être très pratique. Il a su organiser ce show, c’était du boulot. C’est très bien. Je sais que tu as une femme et des enfants, Pascal mais on peut gagner de l’argent en faisant ça si on le fait bien. C’est tout ce que je voulais dire.

JL : Etre manager, c’est un boulot ingrat et difficile. Quand je le fais moi même, au moins je sais ce qui se passe… si il y avait un manager, ce serait une situation très spéciale, il faudrait faire vraiment attention à ce que veulent les artistes. Je crois que nous savons ce que nous voulons et nous sommes surement les mieux placés…

KC : Si ca te convient comme ca…

La chanson "Don’t let the Record Label…" parle du fait que tu veux savoir d’où vient l’argent et où il va. Tu ne veux pas d’intermédiaires ?

JL : On ne nous dit rien… ce sont des sommes d’argent si petites….

KC : Mais ca peut changer.

JL : Si il y a moyen de gagner 1000$ en faisant les choses un peu différement, alors il faut y réfléchir ; parce qu’on a besoin de cet argent. Il faut donc vraiment que je sache qu’on n’a pas loué une batterie si ce n’est pas nécessaire. J’en demande peut-être trop. On dirait que personne ne veut s’occuper de tout ca. C’est trop ennuyeux.
En fait, soit tu es dans le showbiz et tu brasses de l’argent et dans ce cas ce n’est pas la peine de t’occuper des détails, soit tu ne vas rien gagner du tout et là non plus, ca n’a pas d’importance. Voilà, apparemment, c’est comme ça. C’est comme ça depuis qu’on a commencé il y a un an et demi ou deux et ça continue. On essaye de gagner un peu d’argent. C’est beaucoup de boulot de s’occuper de tous ces détails et que tout se passe bien et ça devient vite un boulot à plein-temps et ce n’est pas ça que je voulais faire au départ… Je voulais dessiner des comics. C’est bien ce qui nous arrive avec la musique mais ça a pris des proportions plus importantes que ce que je prévoyais.

Tu songes à faire un break ?

JL : Je me dis souvent ça mais il se passe toujours quelque chose : on me propose de jouer avec Kevin Coyne ! Je ne peux pas refuser ! Alors, je repars. Mais je ne peux pas repartir pour un seul show alors j’organise une nouvelle tournée etc. etc. C’est très tentant tu sais. Quand tu es chez toi, à écrire ou dessiner, personne ne t’applaudit quand tu as terminé, personne ne te paye…

KC : C’est le métier le plus solitaire qui soit : écrire ou peindre.

JL : Oui, ce n’est pas très sociable.

KC : C’est bien de rencontrer des gens.

JL : Absolument. Chez soi, personne ne vient t’interviewer !

KC : Je suis complètement d’accord avec toi. J’ai passé des années aux Beaux Arts, j’ai fait des tas d’études dans ce genre et je ne pensais pas qu’un jour je vendrais des tableaux. Mais aujourd’hui, j’en vend. Mais je crois que si j’ai arrêté de peindre pendant quinze ans c’est parce que, par la musique, je pouvais rencontrer des gens. Je n’étais pas obligé de rester enfermé dans ma chambre à me creuser la cervelle. L’écriture, c’est pareil. Très solitaire. Personne ne t’applaudit à la fin, personne ne te dit "Bravo" et toi, tu doutes. Pour peu que tu vives avec quelqu’un qui n’apprécie pas vraiment ce que tu fais… tu finis par picoler… c’est ce qui m’est arrivé…

Si tu devais tout reprendre à zéro, tu ferais comme Jeff ou tu signerais encore chez Virgin Records ?

KC : Quand Richard Branson t’appelle, tu le suis. Le mutli-millionaire… Il faut être très fort pour résister à ça quand on n’a pas d’argent. Mais je crois que c’est différent aujourd’hui. Remarque… Est-ce vraiment différent ? Les mêmes requins sont là. Les types se lancent dans le show-biz, il n’y a pas de loi, pas de règles, ils se disen t" L’argent facile !". J’en ai rencontré plein, ma vie était contrôlée par de vrais gangsters – l’un d’eux est en prison aujourd’hui. Mais c’était un challenge et je ne regrette rien.
Si je devais recommencer aujourd’hui, je ne saurais toujours pas quoi faire. Je referais donc surement la même chose, les mêmes erreurs… Je ne sais pas… J’avais été sur Dandelion avec John Peel à la fin des années 60.

[Jeff] Dandelion Records, c’était le label de John Peel

JL : Il y avait qui sur Dandelion?

KC : J’y ai fait deux disques avec Siren et, en 1971, mon premier album solo…

“Case History”.

KC : Oui, un disque bizarre… enregistré en un après-midi à Wimbledon.

JL : Un album fantastique.

KC : Comme tu disais, il est très low-fi, très brut. J’avais envoyé à John Peel une cassette et il l’a sortt. On avait aussi été approché par Blue Horizon Records. Ils ressortent des bandes de nous ces temps-ci. Ils voulaient nous signer. Le label de Fleetwood Mac. Mais, je n’aimais pas trop ce Mike Vernon [patron de Blue Horizon].

Ca ne s’est pas bien passé avec Virgin Records ?

KC : Il y a eu de bons moments mais où est passé l’argent ?

Ils t’ont arnaqué ?

KC : Je ne sais pas. J’ai quelqu’un qui s’occupe de ça actuellement. Mon fils, Eugene, travaille là-dessus. Je veux savoir pourquoi j’ai vendu tant de disques sans jamais voir la couleur de l’argent. On me disait : "Tu as des dettes, tu as enregistré au Manor Studio, ça coute cher !". On ne peut jamais rien vérifier.

[Jeff] C’est ce que tu disais.

KC : C’est encore comme ça maintenant.

JL : C’est vrai, on ne peut pas vérifier. Personne ne sait jamais. Il s’agit de petits chiffres. Je vourais savoir si j’ai vendu 3000 ou 7000 albums. C’est important de savoir ça pour moi. Mais tout le monde me dit des trucs différents. Connaître la vérité, ça serait un boulot à plein-temps. J’ai d’autres choses que je voudrais faire… Je n’ai plus de solutions...

KC : Tu te dis que si tu fais des concerts et que tu remplis des salles, c’est que tu dois bien vendre des disques ! J’ai joué dans toutes les grandes salles, même l’Olympia à Paris, il n’y avait peut être pas énormément de monde ce soir-là mais souvent, c’était plein ; et tu te dis : "Tous ces types-là doivent bien acheter les disques !". Tu vas dans les magasins et tes disques sont là ! J’étais très naïf.

JL : Alors, tu n’as pas un conseil à me donner, du genre "Garde-toi un boulot !".

KC : Non, je crois que tu fais exactement ce qu’il faut faire. Tu t’occupes de tes affaires et ça va marcher. Tu ne pourras au moins t’en prendre qu’à toi. Mais tu es aussi dessinateur… Ca va être compliqué. Moi, j’ai arrêté de dessiner pendant quinze ans. Plus rien. J’ai recommencé en Allemagne et on m’a exposé et j’ai vendu alors, bien sur, j’ai continué.

Oui comme Captain Beefheart. Il a arretté la musique pour devenir peintre.

KC : Oui, je ne suis pas un grand fan de sa peinture… Il devrait se contenter de chanter. J’ai travaillé avec son guitariste, Gary Lucas. Il a de bonnes histoires sur Beefheart

J’imagine.

KC : Il est très à part.

Kevin, tu es célèbre pour tes improvisations en studio. Tu m’as dit que tu n’écrivais jamais tes textes ?

KC : C’est vrai, jamais.

JL : Woah.

KC : Je l’ai fait au début, je me disais "C’est come ca qu’il faut faire".

Jeff, toi, c’est un peu le contraire : tes textes sont très longs et très écrits.

KC : Mais ils sont magnifiquement écrits. Ce sont de petits chefs-d’œuvre de prose.

JL : Merci. On a aussi quelques titres où on improvise un peu. Je crois que je n’ai pas assez de talent musical pour ça. On apprend chaque jour mais, au début, on était très limités et incapables d’improviser musicalement. Maintenant, on en sait un peu plus et on peut se permettre un peu plus d’impro. Ca fait peur d’improviser mais c’est aussi marrant. C’est bien quand tu sens que ça marche, tu tentes ta chance et ça fonctionne. Quand tu tentes ta chance et que ça rate, c’est terrible.

KC : Ca ne marche pas toujours mais c’est un risque que je veux bien prendre. Parfois, je me réécoute et je frémis aux rhymes idiotes que j’ai osé. A la fin de l’enregistrement, je vais éradiquer toutes les répétitions et les fautes. Mais j’aime l’idée de dire exactement ce qui me passe par la tête.

J’ai entendu des musiciens très impressionnés par leurs séances en studio avec toi : "On fait une première prise, puis une deuxième, et les paroles sont complètement différentes !".

KC : C’était Brian [Godding]?

Peut-être Brian, mais aussi le pianiste, Paul Wickens ?

KC : Paul Wickens, oui. Il travaille avec Paul McCartney maintenant. Ca fait onze ans.

JL : Certaines personnes sont douées pour ça.

KC : Tu as raison. D’autres non.

Jeff, j’écoutais le cd “Anti Folk Collaborations” avec Diane Cluck. C’est très différent de tes autres enregistrements. Très sophistiqué. Ca me fait penser à du Folk, mais Kevin n’aime pas du tout ça donc… [rires]

KC : Non, non, pas de problème. Je n’ai rien contre le Folk.

Ca me rappelle certains titres acoustiques de Led Zeppelin à leurs débuts.

JL : C’est interessant.. C’est peut-être la voix de Diane qui est très celtique.

Oui, comme la chanteuse de Fairport Convention.

JL : Oui.

KC : Vous savez, je l’ai connue, elle.

Sandy Denny. Une voix magnifique.

KC : Oui, elle picolait aussi beaucoup. Une alcoolique, comme moi à l’époque…dans un club à Soho un soir… Mais, je n’aime pas trop… elle a une très belle voix, c’est sûr mais il y a quelque chose qui me gène là-dedans… Je ne sais pas… Pourquoi est-ce qu’ils ne parlent pas d’aujourd’hui ? Ils chantent dans une langue qui date du Moyen-Age. Moi, j’aime la fraîcheur du quotidien : "Qu’est-ce que c’est là au fond du jardin ?" "Quelqu’un au pub m’a insulté, je vais faire une chanson là-dessus". J’en ai rien à foutre des pantalons de Lady Fontleroy ! Je n’aime pas trop tout cette scène. Mais j’aimais bien le violoniste de Fairport Convention.

JL : Cette scène là est plus connue en Angletterre qu’en Amérique.

KC : Mais Rhino Records a tout réédité.

JL : Oui, tout est réédité mais ça n’a jamais vraiment pris, cette école et ces groupes… Ce sont des artistes cultes.

Jeff, tu penses que tes prochaines chansons seront plus sophistiquées et vont s’éloigner du côté punk des premiers albums ?

JL : Les chansons sont différentes. On écrit comme un groupe. Ce n’est plus moi tout seul dans ma chambre, c’est moi avec mon frère et le batteur. Au début, ça m’embétait, je pensais que ça n’était pas bien… Je ne sais pas. On va enregistrer la semaine prochaîne ; on a des vieilles chansons et des nouvelles. On va tout enregistrer et on verra comment tout ça sonne

Vous enregistrez en Angleterre ?

JL : Oui, chez des amis qui ont un studio. Ils jouent dans le groupe “Misty’s Big Adventure”. Leur batteur est le fils d’un type qui jouait dans un groupe anglais, Gentle Giant.

KC : Un groupe irlandais, oui. C’est vieux. Leurs albums sont encore réédités.

JL : Mais je ne sais pas combien de temps ça va durer… Le songwriting, ce n’est pas quelque chose où on s’améliore. Les chansons sortent ou elles ne sortent pas. Pour moi en tout cas, c’est comme ça. Peut-être que je ne vais plus jamais écrire une seule chanson… Souvent il se passe des mois sans que je n’écrive rien…

Tu crois que tu pourrais vraiment arrêter la musique pour faire tes comics ?

JL : Oui, les comics, c’est toute ma vie. J’ai toujours voulu faire des comic books. La musique, ça a été une expérience géniale, qui a pris une part de plus en plus importante dans ma vie et qui m’a fait faire des choses super, comme être ici ce soir avec vous. Hey ! Je suis à Paris !

KC : C’est sure qu’on n’a pas ça quand on reste chez soi à dessiner.

JL : Non..

Oui, mais il y a autre chose : tu viens de sortir deux excellents cd.

KC : Oui, il a raison.

JL : Merci pour les compliments. Tu sais, on prend goût aux compliments. Tu te dis "Super !". Et si il se passe une journée sans que personne ne te dise que ce que tu fais est excellent alors c’était une mauvaise journée. Après c’est dur. Il y a une acoutumance aux compliments. Pour que ta journée soit normale, il faut que quelqu’un te fasse un compliment ; après ca, il te faut deux compliments pour que tu ais l’impression que tu fasses des chose bien, etc. Je vois très bien jusqu’où ça peut aller. Par exemple, on fait des concerts devant 100 personnes et c’est génial. Mais l’an prochain, je nous vois très bien dire "Oh, il n’y a que 100 personnes et pas 500… c’est un désastre !". Ca n’en finit jamais.

KC : Si tu te mets à compter les gens dans la salle, c’est un problème. Il ne faut pas faire ça. Sauf si ils ne sont que deux…

Je pense que chaque artiste doit avoir ce problème : que faire après un numéro un ? On ne peut être que numéro un à nouveau, sinon on redescend. Mais, ce que je veux dire, Jeff, c’est : tu es un musicien.

JL : Ca dépende de la définition… c’est vrai que, vu le nombre de gens qui sont plus attirés par la musique que par les dessins... De nos jours, la musique est immédiate, les gens y font plus attention qu’à l’Art. Ca demande moins d’effort au public de mettre un disque à la maison que d’ouvrir un livre ou regarder un tableau. C’est donc plus facile d’approcher les gens par la musique. Mais, c’est difficile à dire si c’est bon ou mauvais…


A ce moment, BP, l’ingénieur du son-chauffeur vient chercher Jeff : la salle est pleine, c’est à lui de jouer…


 

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# 17 mars 2024 : le programme de la semaine

De la musique, des spectacles, des livres. Aucune raison de s'ennuyer cette semaine encore. Ajoutons à cela nos chaines Youtube et Twitch et la semaine sera bien remplie.

Du côté de la musique:

"Almost dead" de Chester Remington
"Nairi" de Claude Tchamitchian Trio
"Dragging bodies to the fall" de Junon
"Atmosphérique" de Les Diggers
quelques clips avec Nicolas Jules, Ravage Club, Nouriture, Les Tambours du Bronx, Heeka
"Motan" de Tangomotan
"Sekoya" de Tara
"Rita Graham partie 3, Notoriété", 24eme épisode de notre podcast Le Morceau Caché
et toujours :
"Scars" de Greyborn
"Rooting for love" de Laetitia Sadier
"Quel est ton monde ?" de Olivier Triboulois
"Letter to self" de Sprints
"TRNT best of 1993 2023)" de Tagada Jones
"Beyond the ridge" de Wildation
Quelques clips chez YGGL, Down to the Wire, Malween, Lame, For the Hackers et Madame Robert

Au théâtre

les nouveautés :

"Une vie" au Théâtre Le Guichet Montparnasse
"Le papier peint jaune" au Théâtre de La Reine Blanche

"Lichen" au Théâtre de Belleville
"Cavalières" au Théâtre de la Colline
"Painkiller" au Théâtre de la Colline
"Les bonnes" au théâtre 14
et toujours :
"A qui elle s'abandonne" au Théâtre La Flêche
"Les quatres soeurs March" au Théâtre du Ranelagh
"Mémoire(s)" au Théâtre Le Funambule Montmartre
"N'importe où hors du monde" au Théâtre Le Guichet Montparnasse
"Quand je serai un homme" au Théâtre Essaïon

Du cinéma avec :

"El Bola" de Achero Manas qui ressort en salle

"Blue giant" de Yuzuru Tachikawa
"Alice (1988)" de Jan Svankmajer
et toujours :
 "Universal Theory" de Timm Kroger
"Elaha" de Milena Aboyan

Lecture avec :

"La sainte paix" de André Marois
"Récifs" de Romesh Gunesekera

et toujours :
"L'été d'avant" de Lisa Gardner
"Mirror bay" de Catriona Ward
"Le masque de Dimitrios" de Eric Ambler
"La vie précieuse" de Yrsa Daley-Ward
"Le bureau des prémonitions" de Sam Knight
"Histoire politique de l'antisémitsme en France" Sous la direction d'Alexandre Bande, Pierre-Jerome Biscarat et Rudy Reichstadt
"Disparue à cette adresse" de Linwood Barclay
"Metropolis" de Ben Wilson

Et toute la semaine des émissions en direct et en replay sur notre chaine TWITCH

Bonne lecture, bonne culture, et à la semaine prochaine.

           
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