Tragédie de Corneille, mise en scène de Bénédicte Budan, avec Camille Cottin, Antoine Cegarra, Bénédicte Budan, Laurent Hugny, Bruno Ouzeau et David Seigneur.

"Le Cid" est sans doute la pièce idéale pour une sortie de classe : les péripéties innombrables captivent l’attention des bambins ; et les répliques "cultes" y sont légion, qui leur permettent de réviser agréablement certaines figures de style…

De fait, nous nous trouvions mardi dernier au milieu d’un public majoritairement collégien, et cela ajouta du piquant à la représentation de l’œuvre : les élèves, qui avaient dû en apprendre de longs extraits, anticipaient souvent les moments-clés, se murmurant comme pour eux-mêmes les plus célèbres tirades. Loin de nous déranger, cet écho à la fois respectueux et amusé entre la scène et la salle contribua à rendre plus vivant un spectacle qui, de temps à autres, menaçait de devenir longuet.

On le sait, l’action du Cid est plutôt rocambolesque (on lui en fit reproche au cours d’une célèbre "Querelle"), et dix pages ne suffiraient pas à dépeindre les grandes lignes. Bornons-nous à rappeler que l’amour heureux de Chimène et Rodrigue se voit soudain contrarié par une querelle entre leurs deux pères ; dette d’honneur vengée dans le sang qui empêchera (apparemment) toute possibilité d’union… Dilemme récurrent chez Corneille : les personnages sont alors tiraillés entre honneur (familial, guerrier) et amour sincère, cherchant la façon la plus digne d’assouplir le premier pour excuser ou faire triompher le second.

Il s’agit en outre d’une "tragi-comédie", et cette notion a son importance : Corneille a eu beau réviser son texte et en effacer les aspects trop lourdement humoristiques, "Le Cid" n’en reste pas moins une pièce à dominante tragique qui, curieusement, comporte certains aspects légers et a l’outrecuidance de bien finir ! Blague mise à part, cette dualité contient une gageure : il s’agit de bien doser les différentes tonalités pour que la joie ne ruine pas totalement l’édifice tragique… et, a contrario, que le drame n’empiète pas indéfiniment sur la résolution heureuse.

Dans sa mise en scène, Bénédicte Budan (qui interprète par ailleurs L’Infante) a fait un choix étrange : opposer la majorité des personnages (en particulier les amants), jouant sur un mode purement tragédien, à quelques figures (le Roi et le Comte) ouvertement grand-guignolesques. Si cela crée parfois des étincelles surprenantes, il en résulte aussi des moments de flou artistique gênant : le grotesque du comédien interprétant le Roi (Bruno Ouzeau, qui nous parut avoir de faux airs de Guy Bedos, c’est dire !) vient trop souvent interférer avec le drame sincère des jeunes gens… et face à lui, la pauvre Chimène (Camille Cottin) n’en finit plus de se traîner en héroïne tragique cependant que l’humeur générale vire à la rigolade.

Pour ce qui est du rôle-titre, le souvenir mythifié de Gérard Philippe (qui fut Rodrigue au festival d’Avignon 51, dans la troupe du TNP de Jean Vilar) irrigue encore notre imaginaire, et l’on attendait un personnage plutôt élancé et fringuant… Las, le jeune Antoine Cegarra, aux antipodes de cette idée reçue, en fait un être chétif, mal assuré, sans commune mesure avec la noble rage que l’on était en droit d’attendre d’un beau jeune homme en pleine effervescence amoureuse.

Ces quelques réserves exprimées, il faut tout de même reconnaître que la représentation est globalement sympathique, la pièce de Corneille réservant assez de morceaux de bravoure pour passer outre nos réticence et contenter encore un large public.