Ce soir, la scène des Trois Baudets reçoit. Cette scène, berceau de la chanson française a réouvert ses portes, il y a quelques mois, clinquante et accueillante sur le boulevard Rochechouard. Pour montrer la vivacité et la diversité de la scène française, les Trois Baudets ont invité six groupes. C'est beaucoup.
Chansons françaises : un intitulé de section ou de rayons FNAC qui sent un peu la naphtaline. Alors bienvenue en plein air, sur le parvis de l'Hôtel de Ville et prouvez-nous que la chanson française signifie tout à la fois troubadours, rock, engagements, humour, coquillages et crustacés. Paris Plage oblige.
18h : ça commence. Le charme d'Arlt. Je les ai vus quelques mois auparavant en première partie d'Holden et j'ai été renversée. Ils ont gardé Mocke (Holden) pour cette aventure. La grâce et l'application de marionnette d'Heloïse Decaze, la gravité distante de Sing Sing n'ont pas nécessairement la partie facile cette fois-ci. Et les vociférations qui sentent la bière de cette figure de pâtre grec qui demande à ce que tout le monde s'assoit pour qu'il puisse voir la scène ne sont pas moins perturbantes.
Le son n'est pas des meilleurs non plus et les contes mystérieux, quasi moyen-âgeux ont du mal à se faire entendre. Rien n'y fait : Arlt est un groupe fabuleux et nous les retrouverons dans une dizaine de jours aux Trois Baudets.
Puis Imbert Imbert prend place, lui et sa contrebasse. Instrument imposant, sorte de ventre qui donne vie et souffle à la colère et à l'amertume d'un artiste à la sensibilité extrême. En cuir, ses chaussures qui ne blessent pas la terre, il est bien petit à côté de l'instrument sur la scène vide. La force qu'il dégage, l'émotion sont au contraire énormes. Et ce grand besoin d'amour qui le fait trébucher, vaciller puis s'envoler. Imbert Imbert est un nom à retenir, j'en suis persuadée.
Après cet habitué des scènes parisiennes, Marjolaine Babysidecar fait figure de petite nouvelle. Une ou plutôt deux, Marjolaine et Rémi aux percussions. Ces artistes ont très peu de place à la radio et il faut rendre à Néo ce qui appartient à Néo, c'est bien la seule à diffuser le travail de tels artistes. Citons "Tais-toi" de Marjolaine Babysidecar ou "Un goût de crasse" de Imbert Imbert.
Marjo a un peu le style d'une chanteuse country, longs cheveux, pommettes hautes, un air de Juliette Binoche par moment. Enfin, ses aventures ont davantage le décor des ponts sur la Seine et des gares vers l'ailleurs. Des histoires d'amours brèves, les doutes ("Sais-je aimer"), l'humour vengeur par dessus tout ça. Excellent set pour Marjolaine et ce n'était pas une mauvaise idée de passer "Calamity" pendant la préparation du plateau, histoire de se préparer et d'améliorer son attention à la deuxième écoute. Ca y est ! Je me mets à penser à Poney Express, il y a un peu de ça dans l'ambiance, à la grande différence que la petite Marjo écrit avec son ventre...
La formation de Monsieur Lune prend place : violon, batterie, guitare, basse. J'imaginais que derrière Monsieur Lune, il y avait un chanteur Caliméro à la guitare, genre qui compte les pétales de marguerites pendant que sa douce part à la chasse aux papillons avec un autre. Parfois on imagine des trucs ! Alors que Monsieur Lune est plutôt du style tombé du ciel, à investir la scène et captiver le public comme un Jacques Higelin en pleine forme. Interpellations du public et virevoltes. La chanson française sait se faire explosive. Pas si champêtre que ça, en fait. Quelle joie de voir qu'il y a de la relève rayon fou chantant ! Le public serait même sorti de sa réserve coutumière nonchalante.
Il est neuf heures, la nuit tombe. Il reste encore Mell et Bams à caser dans la dernière heure. Dur pour les artistes de devoir quitter la scène après juste un petit tour de chauffe.
Mell arrive seule telle une blues brother sans les lunettes. Je trouve qu'elle a les yeux de Pete Doherty. Elle ne manque pas de piquant. Elle s'accompagne à la guitare avec nervosité. Elle est là pour jouer, pour s'amuser, pour faire le spectacle, pas du tout intimidée. Je remarque qu'elle a ses fans. Gamine, elle tire la langue de malice. Elle prend des risques et grignote effrontément sur son horaire. Yes, rock 'n roll ! Et elle chante en anglais un tube des années 80, gonflée et drôle.
Là encore, elle est bien à sa place sur la scène des Indétendances.
Bams est la dernière. D'origine africaine, elle s'habille d'une longue robe fourreau colorée. Elle danse et bouge du bassin, sous le patronage hypothétique de Brigitte Fontaine. Le slam, le chant, les rythmes électro : elle intègre tous ces styles sur des textes engagés revendicatifs, militant pour la condition féminine, combat au combien nécessaire sur toute la planète. Bams est peut-être une artiste radicale, ce qui fait sa force et sa singularité. Elle a mis du baume au coeur, rendant possible le "Vivre ensemble" qu'elle appelle si sincèrement de ses voeux. Une note d'amour et d'espoir pour clore ce beau programme.
Et bien, il ne nous reste plus qu'à compter les gens qui se sont endormis à même le sol par cette belle nuit d'été. |