Son roman intitulé Vers le sud avait notamment inspiré Laurent Cantet pour son film au titre identique. Je veux dire par là que c’est le septième art qui m’a fait connaître cet auteur d’origine haïtienne, Dany Laferrière.
Dans ce livre (L’énigme du retour), la mort du père plonge le narrateur dans une remise en question d’ordre "métaphysique". Elle oblige ce dernier à penser, et donc à vivre pleinement sa solitude pour découvrir ce qui lui manque. En effet, exilé à Montréal depuis une trentaine d’années, il décide de retourner dans son pays. Il revoit sa mère, sa sœur, mais aussi sa tante et son neveu. Avec chacun des membres de sa famille, le personnage principal tente de recréer une relation qui ne peut être qu’en deçà de cette tentative insigne d’atteindre intimement le père. D’ailleurs, il en est de même avec les amis, bref, avec tous ceux qui continuent à vivre dans ce pays miséreux. En même temps qu’il est en quête de son père, il est en quête de son passé. Ce livre est une tentative désespérée d’appréhender le temps. Pour le narrateur, il faut retrouver le passé mémoriel, sans parler de l’instant qui lui est si cher. Le prouvent ces notes courtes qui remplissent chaque page de ce livre et se présentent comme les phrases écrites au hasard de l’observation de l’environnement extérieur et à travers les pensées qui submergent chaque homme. Oui, cet ouvrage est avant tout une œuvre universelle. La perte du père pour un homme d’âge mûr ou avancé devient le moyen de réfléchir sur l’oubli ou, au contraire, le souvenir que l’on veut garder de son existence par cette évocation des siens ou d’un pays quitté pour raison politique. Papa Doc aura fait exilé son père. Baby Doc, lui, aura eu raison du fils réfugié dans la glace du nord. Mais le narrateur est revenu pour retrouver non pas seulement ses origines, mais une raison à sa vie. Il la trouve finalement en rejoignant, au bout d’un long voyage, le lieu de naissance de son père. Ainsi, par la comparaison entre ce passé redécouvert du fait de la rencontre des témoins, cette appropriation du vaudou par la présence de cette poule noire qui accompagne, jusqu’à la fin de son périple, le narrateur, et ce présent qui demeure, à l’instar de son père (qui ressemble à son fils comme celui-ci ressemble à son neveu), l’exil de lui-même de son propre pays, le narrateur découvre le pourquoi qui forme la sphère de toute individualité géniale et forte. Pour paraphraser Wittgenstein, je dirai que le narrateur, par la confrontation entre le passé et le présent, a trouvé la structure qui lie rigoureusement ces deux temporalités. Seul un tel fait pouvait lui apporter le réconfort, le soulagement, au-delà du deuil d’un père. Le narrateur (Dany Laferrière?) a dépassé, par conséquent, cette mort ; il a dépassé la culpabilité d’avoir laissé sa mère et sa sœur au pays ; il a dépassé cette honte devant le désastre de son peuple crevant de détresse pendant que quelques riches continuent à vivre paisiblement. Il a simplement découvert le fondement de toute vie qui est ce lien entre les origines et la fin pour l’homme fait – tout le reste n’est que silence…
|