Texte
de Alessandro Baricco lu par Jacques Higelin accompagné
par Dominique Mahut..
Pour ceux qui ont lu l'histoire fabuleuse de "Novecento
: pianiste" narrée par la plume superbe de Alessandro
Baricco, lauréat 1995 du Prix Médicis étranger,
rien d'étonnant à ce qu'elle ait séduit
Jacques Higelin, comédien, auteur, compositeur, musicien,
chanteur, tour à tour hippie rageur et baladin rock.
Rien d'anachronique non plus à retrouver sur scène
un texte qui fut écrit à l'origine pour le théâtre
et qui raconte la destinée hors du commun, au début
du siècle passé, d'un enfant venu de nulle part
devenu un homme n'allant nulle part, qui a vécu toute
sa vie sur un paquebot sur lequel il est né et a été
abandonné et est devenu un pianiste qui atteignait le
divin.
Jacques Higelin est accompagné d'un fidèle,
le percussionniste Dominique Mahut, absorbé derrière
son invraisemblable installation à faire de la musique,
jolie promesse d'alchimie musicale. Le second aussi lymphatique
et concentré, comme plongé en méditation
créatrice, que le premier est hyperactif, toujours en
mouvement, comme vacillant au bord du chaos verbal.
Inutile de préciser que le spectateur n'assistera pas
à une lecture académique ni à un exercice
de maîtrise théâtrale. Jacques Higelin est
une bête de scène, le lieu où l'homme plutôt
introverti a résolument planté son univers, et
pratique la haute voltige prosodique.
Il vrille les mots, tord le texte, lui imprime une scansion
rythmique qui colle avec la langue du narrateur, un trompettiste
imprégné de swing, de ragtime et de jazz, exécute
des variations libres percutées par des faits inattendus,
un nez qui réclame un kleenex, une page qui ne veut pas
se tourner, un micro qui crachote, des lignes qui se brouillent
sous l'éclat des spots, une langue qui fourche, autant
d'imperfections formelles qui donne à cette lecture mise
en espace mobile et sonore le caractère d'un vrai spectacle
vivant d'une performance qui semble se créer à
mesure sous nos yeux.
Finalement Jacques Higelin n'a rien à prouver. Il est.
Et il a servi le texte de Baricco en le visitant, en le revisitant,
l'espace de quelques heures qui restera unique pour ceux qui
l'ont accompagné dans ce voyage. Un voyage atypique qui,
au terme de la soirée, quand on se retrouve sur le trottoir
du boulevard Rochechouart, laissera comme le souvenir d'un rêve. |