"Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d'entre nous regardent les étoiles." écrivait Oscar Wilde. Richard Hawley est de ceux-là. Son auditeur également. Le caniveau dont il est question ici, celui vers lequel son amour pourrait s’engoncer s’il n’y prenait garde, semble constituer pour Richard Hawley un passage cathartique obligatoire. Truelove’s Gutter s’ouvre sur des nappes ténébreuses entremêlées de larsens de guitare qui plantent le décor sur des terres qu’Angelo Badalamenti avait déjà explorées sur les morceaux les plus noirs de la B.O. de Twin Peaks.
Sur "As the Dawn Breaks", alors qu’une aube tourmentée pointe le bout de son nez, des oiseaux viennent réveiller une guitare acoustique paisible qui s’étire avec quelques arpèges tandis que la voix (pour ne pas écrire La Voix) met déjà la barre très haut : elle sera intense, présente, profonde, belle mais sombre. Pour s’en convaincre, il suffit de constater combien le visuel de la pochette a changé, depuis les colorés Lady’s Bridge et Cole’s Corner. L’heure semble bien grave en ce matin, mais hawley-cœurs, le visage de Richard émergera de la pénombre.
Pour tous ceux qui préfèrent le classicisme grandiloquent et les merveilleuses orchestrations auxquels les albums précédents nous avaient habitués, l’attente n’est pas bien longue. Dès le deuxième morceau, le magnifique "Open Up Your Door", Colin Elliott, le coproducteur habituel des disques de Richard Hawley nous a concocté des sublimes arrangements de cordes, que n’auraient renié ni Frank Sinatra, ni Scott Walker, ni John Barry. Si Richard se pare d’élégantes cordes et d’une mélodie des plus romantiques, il se met en revanche à nu pour confesser ses fautes, ses doutes et implorer le pardon à sa femme. Pour déclarer sa flamme, tous ses fidèles sont maintenant au rendez-vous : harpe, piano, violons et carillons rejoignent la guitare. Dès lors, la voix, aussi joliment entourée, retrouve ses envolées habituelles de crooner bouleversant, celles dont Morrissey ou Neil Hannon doivent rêver la nuit.
L’auditeur est à nouveau en territoire connu avec la ballade country "Ashes on the Fire" que l’on croirait issue tout droit d’un saloon rempli de cow-boys fatigués, mais qui montre une fois de plus l’étendue des talents de guita(t)riste du crooner. D’ailleurs, Richard Hawley pourrait appartenir à n’importe quelle époque, tant son art n’a que peu faire des avancées technologiques ou du communautarisme mondial que représente internet. Lui, l’orfèvre appliqué, le guitariste talentueux mais sobre, s’acharne à bâtir depuis des années de splendides monuments de pop où l’histoire est toujours la même : un homme, une femme, l’amour, les doutes, les errances, les émotions.
Pour Truelove’s Gutter, Richard l’artisan est un peu plus désemparé. Il prend conscience des dommages causés par le temps, des dysfonctionnements du couple, des objectifs inaccessibles de la vie et a laissé transparaître tout ceci dans la composition de cet album. Mais il n’abdique pas, il cherche des solutions. D’abord, se renouveler. La pochette et l’atmosphère de l’album l’attestent volontiers. "Soldier On" (que d’aucuns pourraient légitimement qualifier de morceau de bravoure de cet album) et ses guitares distordues et rageuses, tout en crescendo, également. Ensuite, apporter quelques touches novatrices à l’édifice musical. De nouveaux instruments viennent compléter les fidèles compagnons mentionnés plus haut : des tablas, une scie musicale, du Cristal Baschet, des ondes Martenot entre autres. Enfin, faire preuve d’humour. Plus exactement, d’amertume amusée. Dans "For your Lover Give some Time", premier single issu de cet album, d’une beauté et d’une vérité implacables, Hawley fait, avec humour, l’étalage de ses faiblesses mais n’oublie pas de souligner celles de sa femme. Il peut être sarcastique (il lui promet de lui rapporter des fleurs du cimetière) mais incroyablement poétique quand il lui dit qu’il "la regardera raccommoder les larmes de sa robe".
La dernière chanson de l’album, "Don’t You Cry", synthétise en près de 11 minutes toute la grâce, l’humour, l’émotion et la beauté des titres précédents, l’élégance des arrangements, appuyés là encore par des instruments peu usuels comme une lyre ou un Amonica de verre et prouve à qui en douterait encore que Richard Hawley tutoie les étoiles et nous regarde, dans notre caniveau. |