Comédie
dramatique de Rafael Spregelburd, mise en scène Marcial
Di Fonzo Bo et Élise Vigier, avec Marcial Di Fonzo Bo,
Frédérique Loliée, Pierre Maillet, Clément
Sibony, Rodolfo de Souza, Élise Vigier et Julien Villa.
Après "La estupidez" jouée en ce même
lieu la saison passée, la Compagnie des Lucioles poursuit,
avec "La paranoïa", l'exploration du grand œuvre
de l'auteur argentin Rafael Spregelburd inspirée du tableau
des sept péchés capitaux du peintre néerlandais
Hieronymus Bosch.
L’écriture de Rafael Spregelburd s'inscrit dans
une démarche syncrétique qui tient du collage
dadaiste en s'emparant de tous les codes et références
de la fiction contemporaine tels qu'ils sont véhiculés
par les comics, le cinéma, les séries télévisées,
et notamment celles qu'il connaît le mieux les fameuses
télé-novelas argentines, et le monde virtuel dessiné
par Internet, dont Quentin Tarantino serait, au plan formel,
le pendant cinématographique, pour dynamiter l'ère
contemporaine.
Ce nouvel opus, variation autour du péché de
gourmandise, place l'intrigue, qui n'est qu'un prétexte
pour superposer et télescoper les modes narratifs et
les niveaux fictionnels, sous le registre de la science-fiction,
registre ardu et hardi au théâtre.
Dans une étrange matrice qui tient de la machine à
explorer le temps, du caisson de télétransportation
et d'écran intérieur de projection des fantasmes,
se déroule une invraisemblable histoire qui a des accointances
avec les contes pour enfants avec des personnages archétypaux.
Cela commence à la mode du bon vieux feuilleton increvable
"Mission impossible" avec un étrange colonel
uruguayen (Rodolfo de Souza loufoque
à souhait) qui convoque un mathématicien de haut
niveau incapable de faire une addition sans calculette qui a
fait capoter une mission astronautique (délicieux Marcial
Di Fonzo Bo en ahuri cosmique), l'astronaute traumatisé
rescapé de ladite mission (Julien
Villa, parfait en Calimero sous tranxène), un
écrivain de roman de gare (excellente Frédérique
Loliée comédienne capable de tout qui formait
avec Elise Vigier l'ébouriffant binôme trash du
spectacle "Duetto 5" conçu à partir
de textes décapants de Leslie Kaplan et de Rodrigo Garcia)
et un robot transgenre hystérique au disque dur vérolé
qui s'auto-reprogramme (époustouflant Pierre
Maillet).
Leur mission : inventer des histoires pour satisfaire de redoutables
créatures extra-terrestres, qui dominent la planète
mais qui sont dépourvues de la composante humaine qu'est
l'imaginaire, d'où l'histoire d'une reine de beauté
monstrueuse (Elise Vigier décapante) et de l'anti-héros
de service, un policier déchu boulimique et drogué
(Clément Sibony).
S'ensuit un spectacle délirant et foisonnant, car pour
le gourmand, en général, et la voracité
du spectateur, en particulier, abondance de biens ne nuit pas,
menée tambour battant qui scotche ce dernier sur son
fauteuil complètement fasciné et hypnotisé,
indifférent au cataclysme qui pourrait survenir. Mission
accomplie pour Rafael Spregelburd qui décapite les certitudes
et annonce peut-être une apocalypse joyeuse qui confine
au mystique avec son dénouement inattendu et inquiétant.
Mission réussie également pour les co-metteurs
en scène Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier qui
gèrent de manière novatrice leur scénographie
par rapport à "La estupidez" en substituant
à la multiplicité parallèle des lieux scéniques
la quasi alternance de scènes sur le plateau et de scènes
filmées.
A conseiller sans modération pour ceux qui ne cèdent
pas à la tentation de la vie "light". |