Les Fitzcarraldo Sessions sont le projet studio le plus excitant depuis le record club de Beck et son hallucinante reprise intégrale de l'album éponyme et bananier du Velvet Underground & Nico. Jack the Ripper moins Arnaud Mazurel plus d'autres chanteurs égale We hear voices. Premier cri d'une formation aussi impossible que le projet du personnage de Werner Herzog auquel elle emprunte son nom.
We hear voices, premier cri que traverse, justement, la problématique de la voix : pour un temps séparés de leur chanteur, les musiciens de Jack the Ripper s'inventent une formation sans vocaliste fixe, multiplient les invitations et réunissent le temps de douze titres douze invités. Comme si les Bad Seeds avaient poussé la logique jusqu'au bout et s'étaient totalement passé de Nick Cave le temps d'enregistrer Murder Ballads.
L'aventure est un peu folle si l'on y songe ; mais tellement évidente aussi pour qui se rappelle le sens qu'il y a à se réunir pour jouer de la musique, ce qui devrait être l'objet de chaque "groupe". Elle ne va pas non plus sans un certain risque de dissolution – un peu à la façon dont Archive, en multipliant les voix et les couleurs sur son récent Controlling Crowds, a pu donner une apparence de collage tout à fait contradictoire à l'idée de concept album par ailleurs défendue.
Mais que l'on se rassure tout de suite : We hear voices n'est pas une simple compilation de collaborations éparses et sans rapport les unes avec les autres, glanées au hasard des rencontres. C'est un authentique album, démarche construite et délibérée, qui trouve son unité dans les composition des musiciens de Jack the Ripper. On doutera même, à vrai dire, que chaque invité a bien écrit ses propres textes tant il est vrai que l'univers, avec ses touches tragico-baroques, ses petits airs dandys-décadents, ne s'éloigne jamais beaucoup de celui auquel Jack the Ripper nous a habitué.
À ce jeu là, il faut bien le reconnaître, tous les invités ne sont pas égaux et il faut toute la personnalité d'un Dominique A ou d'un Stuart Staples (que l'on ne fera pas l'affront aux fans de Tindersticks de présenter) pour éloigner un peu le fantôme d'Arnaud Mazurel, maître de cérémonie habituel de ce cabaret noir dont la présence écrasante flotte encore au détour de l'album, jusque dans les intonations de ses substituts – jusque dans la bouche d'Abel Hernández lui-même (autre voix de légende, celle de Migala, se produisant ici sous le nom d'El Hijo, son nouveau projet solo), pour un impeccable "All the mirrors are covered by snow" qui prouve, si besoin en était, que la ressemblance peut avoir ses délices.
À l'inverse, chaque invité apporte aussi quelque chose de son propre univers musical : une touche jazzy sur "The Gambler" ; quelque chose de l'album La Musique avec Dominique A sur "L'instable" ; un soupçon d'électricité avec Craig Walker sur "Animosity" ; un trait d'apesanteur avec "As you slip away" et le chant de Joey Burns (Calexico)... Autant d'éclairages nouveaux dans le petit théâtre obscur composé par le septet.
Les Fitzcarraldo Sessions parviennent finalement à réaliser leur projet fou, bâtissant leur opéra impossible le temps d'un album tout simplement indispensable pour qui aurait l'habitude de suivre Jack the Ripper – ou n'avait pas encore eu l'occasion de le faire. We hear voices communique à l'auditeur l'exaltation de sa démesure et, sitôt terminé, nous laisserait lui espérer de nombreux successeurs de la même facture, pour lesquels on pourrait bien suggérer quelques noms d'invités à ne pas oublier (David Eugene Edwards, Romain Humeau, Bertrand Cantat, Matthieu Boogaerts et pourquoi pas Jim Morrison ?) – si l'on n'avait si peur, dans le même temps, qu'ils ne retardent encore le retour au micro d'Arnaud Mazurel. |