À trop lire la presse spécialisée, on en viendrait à croire à la légende de "l'album définitif" et du drame que vivent ceux qui ont eu la chance d'en produire un un jour : l'impossibilité d'en revenir et de faire mentir l'expression. Ainsi s'écrit la mythologie du rock, selon laquelle David Bowie, malgré la longévité spectaculaire de sa carrière, ne sera jamais autre chose que l'homme derrière Ziggy Stardust ; selon laquelle les Smashing Pumpkins rêvent continuellement d'un nouveau Mellon Collie ; Ulan Bator d'un autre Ego : Echo. On en viendrait presque à se réjouir de la mort de Ian Curtis, qui lui aura au moins épargné un long déclin après l'indépassable Unknown pleasures.
Do Make Say Think en serait là, un peu, depuis son deuxième opus, Goodbye Enemy Airship The Landlord Is Dead (Constellation, mars 2000), qu'aucun de ses successeurs n'aurait véritablement réussi à dépasser. Bien sûr, reconnaîtra-t-on du bout des lèvres, l'ensemble de la production du quintet mérite bien plus qu'un détour et offre de nombreux moments de pure anthologie ; mais jamais un autre de leurs albums n'aura atteint cette virtuosité dans l'équilibre des tensions contraires, dans l'alchimie des opposés. Est-ce enfin chose faite avec Other Truths ?
Evitons d'emblée une déception trop cruelle aux mythologues, amateurs de cette version de l'histoire de la musique où tout n'est que drame, déception, échec, frustration et éternelle recherche de la répétition du même : non. Pour les autres, ceux qui se contentent d'aimer la musique sans devoir l'élaborer en top, réjouissons-nous que, dix ans après, Do Make Say Think sache ne pas rabâcher de simples répétitions auto-parodiques.
Others Truths se contentera donc d'être un excellent album de plus, inventif, créatif, original, indépendant, surprenant, réjouissant, exaltant, intelligent, saisissant, expressif, émouvant, puissant et sensible, plein de clameurs et de fureur, brillant... rien que de très ordinaire pour la formation de Toronto, donc, vraisemblablement l'une des plus intéressantes qui aient pu être mises sur disque ces quinze ou vingt dernières années.
Le son ici rappellera clairement celui de deux autres albums précédents de la formation (& yet & yet, Constellation, 2002 ; Winter hymn, country hymn, secret hymn, Constellation, 2003) : très plein, jusque dans ses moments de légèreté ; un rien jazzy dans sa fausse répétitivité, manière de varier le même thème ; avec de subits gonflements, densification où les cuivres tiennent la part belle, parfois jusqu'à un bruitisme mélodique non dépourvu de tout swing. Post-jazz si l'on veut, pour un certain côté sautillant (ah ce jeu de cymbales !), rock encore pour les sonorités. Moins teinté de folk, certainement, que certains passages de l'album précédent (You, you're a history in rust, Constellation, 2007) – ce qui particulièrement clair dans l'utilisation des voix, ici très discrètes, quand elles s'étaient faites chant à part entière dans celui-là. À noter enfin que l'album est pour la première fois tout entier construit sur la prédominance de pistes longues : quatre titres uniquement, de huit à près de treize minutes, qui permettent à la musique de se développer dans toute son ampleur.
Les amateurs de la formation seront donc déçus de n'être que ravis de retrouver un excellent nouvel opus ; les néophytes y trouveront une nouvelle occasion de s'initier par le meilleur à cette formation incontournable ; les puristes y pinailleront peut-être un sacrilège ou un autre ; les biographes s'y chamailleront la découverte d'une minuscule révolution ; les angoissés, eux, se diront que pour titrer ses quatre nouveaux morceaux Do, Make, Say et Think, Do Make Say Think doit être en train de préparer sa séparation et ils chercheront avidement les dates de la supposée tournée d'adieux. Bref, on dira, fera et pensera ce que l'on veut. Pendant ce temps, Do Make Say Think se contentera de continuer à être une formation époustouflante, comme elle l'est depuis bientôt quinze ans et déjà six albums. |