Depuis 2006 et la sortie de son troisième album, le duo de guitaristes mexicains Rodrigo y Gabriela s’est construit une notoriété croissante, visible à sa capacité d’étonner, de stimuler les foules. Sur la scène de l’Aéronef, avant l’arrivée des deux musiciens, on ne remarquait aucun instrument sur scène. L’électricité est une idée ancienne en Europe: l’audace consiste à la diminuer le plus possible, sans pour autant réduire la puissance musicale.
La méthode du groupe est de conserver la vigueur du rock, du hard et du heavy-metal, en les dépouillant de leur caractère trop explicite, et en les reportant sur une structure acoustique minimaliste. Le flamenco sert de base à leur architecture musicale ; un flamenco enrichi par une rythmique salsa et jazz, sur laquelle viennent s’appuyer les influences aussi variées que Pink Floyd, Santana, Hendrix, Metallica. Les sonorités gagnent ainsi en richesse et en profondeur, par leur caractère hybride, et par le travail rythmique qui leur sert de base. Les traditions latines en sortent bousculées.
On vérifie alors que l’impact de cette musique procède de ce qu’elle retient, de ce qu’elle enlève et supprime : ce n’est pas avec une Fender chauffée à blanc que le groupe a imposé son jeu, mais avec la précision d’une rythmique implacable. Gabriela Quintero se charge à elle-seule des parties rythmiques et harmoniques tout en assurant le travail des percussions, effectué à même la caisse ; Rodrigo Sanchez, lui, s’occupe de la guitare solo dont le jeu rapide oriente la construction harmonique de sa partenaire. Sur scène se répondent ainsi deux forcenés du rythme, qui arrêtent leurs pas là où la virtuosité commence.
Pas question ici d’enclencher la mécanique, tape-à-l’œil, de la démonstration, ou de la performance. Les deux mexicains privilégient l’émotion à la technique, et la simplicité à l’attitude. Une rythmique ne fonctionne que par sa capacité à se transmettre dans l’espace sans brusquer le Corps du public, sans imposer sa dynamique. Elle se fait par propagation, de proche en proche. Des titres comme "Hanuman" (dont l’ossature provient d’un morceau de Carlos Santana), "Buster Voodoo" (sa résonance fortement hendrixienne) ou encore "Orion" (et ses réminiscences de Metallica) réconcilient à la fois les amateurs de hard, de rock, et de jazz, dans un même mouvement. Il n’en fallait pas plus pour convaincre le public.
Le premier groupe des deux musiciens, Tierra Acida, hautement imprégné par le heavy metal, ne cesse d’habiter ces compositions à deux vitesses: en surface le flamenco semble s’imposer ; en profondeur se déroulent en demi-teinte des fragments, cycliques, de Megadeth ou Pantera. Plus loin, c’est le contraire qui se produit : les riffs métalliques ne sont là que pour mieux révéler les subtilités du tango ou de la rumba catalane. Par un agencement complexe, la structure des morceaux évolue selon plusieurs couches de lecture. Plusieurs écoutes seront nécessaires pour déchiffrer et reconnaître les nombreuses allusions musicales, véritables marques de fabrique de la formation.
Rodrigo Y Gabriela ont assurément créé un nouveau langage musical, qui soumet le bois des guitares à la seule arithmétique du plaisir. Ce qui explique leur accessibilité, et leur succès. Nous pouvons gager que celui-ci sera durable, pour la raison que l’inventivité l’emportera toujours sur l’imitation. Contrairement à ce qu’on peut penser, la singularité, l’originalité ne divisent pas, mais rassemblent. C’est en tout cas la bonne nouvelle que nous a apporté ce groupe. |