A une époque où les industries musicale, cinématographique et télévisuelle de masse s’avèrent incapable de se renouveler en s’enfonçant chaque jour davantage dans la redite la plus insipide, une galette de vinyle vient nous redonner un peu d’espoir. Faisant instantanément de A71 de Mustang un OVNI dans cet océan de médiocrité.
Complètement dans son époque, ouvertement grand public, le trio clermontois a décidé de remettre au goût du jour le rock primitif : banane, jean retourné sur des chaussures à semelles épaisses, chemises à carreaux. Rouvrant le livre à la page de la France innocente et insouciante : la drague comme religion, les virées en voiture avec les potes, les coups de tête ou les coups de blues. Sorte de croisement entre American Graffiti de Georges Lucas et Adieu Philippine de Jacques Rozier. Voilà pour la façade. Car derrière cette imagerie sans équivoque, Mustang s’avère plus complexe et atypique qu’il n’y paraît.
Musicalement tout d’abord. Jean Felzine hurle à longueur d’interview son amour immodéré pour Suicide. Parfaitement (et maladroitement) matérialisé lors de leurs premiers concerts vus cette année : pour la dernière ligne droite du set Jean Felzine délaisse subitement sa Gretch pour masturber un synthé crade ("Anne-Sophie", "Pia Pia Pia"), modifiant ainsi durablement cette impression initiale de groupe passéiste. Pour aboutir à un son unique somme toute très contemporain à mille lieues de D.J. Fontana ou des Chaussettes Noires. Autre élément fondamental du son Mustang : la voix de crooner de Jean Felzine, sorte de mariage forcé entre Dominique A et Eddy Mitchell.
Enfin, que serait A71 sans ses textes. Tour à tour drôles, tout à fait arrogants ("J’en ai dans le pantalon"), parfaitement machos, gentiment obscène mais toujours parfaitement ciselés, extrêmement intelligents. Combinant à merveille humour et foutre. On pense avant tout à Boris Vian, Eddy Mitchell, Daniel Gérard. L’ombre de Bashung flotte également parfois au-dessus de l’édifice. Certaines sorties s’avèrent un peu trop évidentes ("En Arrière Et En Avant" (Gainsbourg) ou "Pia Pia Pia" (Nino Ferrer)) mais force est de constater qu’on n'a pas entendu un tel parolier depuis un baille...
Amusant enfin de noter les déviations répétées dans le registre de la chanson française notamment sur les deux dernières chansons, clairement les plus ambitieuses du lot, mettant parfois l’auditeur mal à l’aise devant une telle mise à nu de leur auteur. Pour la forme on regrettera quand même l’absence du titre offert par Don Cavalli : "oh chérie de mon cœur, come back à la maison", "my heart y fait mal". Trop dur peut-être à assumer au final…
Très clairement A71 constitue le meilleur disque en français entendu en 2009. Mieux encore, il atomise en trois riffs et deux couplets la concurrence, rendant instantanément les Paris Calling aussi ringards que dépassés, les renvoyant du même coup à leurs études dans leurs costumes étriqués de bons petits soldats rock’n roll. |