Difficile pour moi d’écrire sur cet essai de Pascal Bruckner, je me sens toujours endolorie d’une histoire de couple gâchée au nom de la passion. J’avais cinquante-cinq ans, lui cinquante-deux et en quinze jours, il a plié bagage pour une femme de trente ans. Marié pour la première fois, deux enfants : il va bien merci pour lui !
Cette histoire vieille de neuf ans m’a empêchée de lire sans affects la réflexion de ce philosophe sur l’amour, l’érotisme, la pornographie, la liberté individuelle à deux, la recherche de l’état de béatitude perpétuel grâce à l’amour "qui nous libère de l’égo ressassant… et nous en retourne un autre démultiplié, joyeux, qui nous rend fort, capable de grandes choses" mais aussi sur la séparation "qui évoque les procédures de licenciement des entreprises".
L’intérêt du livre réside dans l’analyse des manifestations et des enjeux du sentiment amoureux dans le contexte actuel après une rétrospective à partir du dix-huitième siècle et du courant libertaire des années 70 (exagérée à mon avis). Qui chantait : "il n’y a pas d’amour heureux !" Pourtant, d’après Bruckner, chacun(e) revendique le chambardement émotionnel, la jouissance sexuelle et la quête infernale du bon objet qui déçoit, se remplace, lui-même disqualifié à son tour comme "une série de feux-follets qui luisent et s’éteignent à leur tour... Ce n’est pas l’anarchie des comportements que nous craignons, c’est la disparition de nos émois". Le "nous" semble dire que les unes et les autres jouent la même partition égalitaire dans les jeux de séduction réciproques et alors que "dans le string de la pétasse, il y a un cœur qui bat", cette surenchère des attributs féminins au risque de prendre des coups au sens propre et au figuré renvoient au consentement des femmes au dictat du regard masculin : le pendant à son encadré sur l’Empire de la pétasse pourrait aussi être celui de l’Empire des grisonnants chassant avec un portefeuille garni et une bonne situation le cœur de la les-dite pétasse. Désolée, je m’égare, un zeste d’amertume sans doute !
Pascal Bruckner décrit les variations du verbe "aimer" qui vont de l’exclusivité à l’échangisme, de l’abstinence à la fraternité sentimentale. Il critique l’idéologie de l’amour rédempteur prônée par les religions et les révolutions dont nous sommes pétris qui a réhabilité "la chair au nom du même idéal de fraternité des cœurs et de réciprocité des consciences". Sans polémiquer sur cette partie qui me paraît réductrice sur la recherche d’humains vers un "individualisme altruiste" comme l’écrivait Albert Camus dans L’Homme révolté et qui me rappelle sa thèse équivoque sur la culpabilité/faute dans Le sanglot de l’homme blanc – victime déjà de son héritage judéo-chrétien –, Le paradoxe amoureux nous donne quelques clefs pour comprendre ce besoin vital de vibrer par tous les bouts et par tous les temps parce que "le vrai drame est de cesser un jour et d’aimer et de désirer et de tarir la double source qui nous rattache à l’existence. Le contraire de la libido, ce n’est pas l’abstinence, c’est la fatigue de vivre". J’en sais quelque chose ! |