Charmante rencontre que celle d'Hindi Zahra, petit bout de femme d'une grande gentillesse, forte personnalité au franc-parler très appréciable. Dès que l'on parle musique, elle a l'œil qui pétille et devient intarissable. Hindi Zahra ne triche pas et se livre telle qu'elle est, fière de sa culture métissée et consciente de la richesse de son parcours. Fraîcheur, idéalisme, intégrité : Hindi Zahra a tout pour plaire. A commencer par sa musique.

On t'a découverte lors de ton passage au festival Rock en Seine cet été (sélection Avant-Seine), puis récemment avec le titre "Beautiful Tango", qui passe en boucle sur Radio Nova. Ton album Hand Made sera disponible le 18 janvier prochain. Tu es pressée qu'il sorte ?

Non, pas tant que ça en fait. J'ai la date en tête, mais je ne suis pas vraiment pressée, au contraire. J'ai surtout très envie de prendre quelques jours de vacances pour être prête pour la sortie et tout ce qui s'en suit.

Pour toi, cet album c'est un premier aboutissement, ou c'est juste le début de l'aventure ?

C'est surtout la concrétisation de trois années de travail, le fruit de nombreux concerts, d'heures et d'heures de travail, d'un an et demi passés sur ce disque. Donc c'est vraiment l'aboutissement de quelque chose.

Au printemps, tu t'engageras dans une grosse tournée (avec notamment un passage par La Cigale le 15 Février). C'est important pour toi d'aller sur scène ?

Oui, oui, moi je ne voulais même pas faire de disque, avant. Je voulais juste faire des live. C'est ma famille, mes amis et mon tourneur qui m'ont poussée à faire cet album. Le but pour moi, c'était surtout de faire davantage de concerts. Ça n'a pas été évident au début, j'ai mis trois mois pour l'enregistrer, mais voilà, c'est fait.

C'était un passage obligé ?

Voilà. Pour moi, la scène est primordiale. Le disque reste la vitrine de ce qui se passe en live.

Tu as une date aux Etats-Unis en mars (à Austin). Ça te donne des idées pour une future carrière internationale ?

Non, c'est dans la continuité de ce qu'on fait depuis plusieurs années : on est allé jouer au Mexique, en Slovénie, au Maroc, en Hollande, en Espagne, on a déjà fait 5 dates en Angleterre... Donc non, ce n'est pas vraiment nouveau pour nous d'aller jouer à l'étranger.

Le titre de ton album (Hand Made) colle bien à l'esprit du disque, avec son côté artisanal, ses chansons à l'état brut. Est-ce une volonté d'échapper à tout prix à la logique du formatage ?

J'ai juste voulu enregistrer mes chansons simplement. Je n'ai vraiment pas pensé au format, j'ai pensé à mon expression, à comment je voulais faire mes chansons. Quand je compose, je ne me demande pas si ça va plaire aux gens, ce n'est pas du tout comme ça que je fonctionne. Je cherche plus ce qui a du sens pour moi dans une chanson, musicalement, mélodiquement, rythmiquement. Je vais vraiment dans ce que j'ai envie de faire, librement.

Tu arrives à faire abstraction des influences extérieures ?

J'ai produit le disque pour ça : pour être libre.

C'est toi qui as tout fait de A à Z sur l'album ?

C'est moi qui l'ai produit, arrangé, mais il y a d'autres musiciens qui jouent dessus. Je ne me suis pas non plus occupée de la production exécutive. Les salaires et tout ça, ce n'est pas mon truc. Mais tout ce qui est artistique vient de moi. J'ai aussi pas mal investi financièrement.

Je ne prends pas en compte le formatage, pour moi ça n'existe pas. Ceux qui veulent être formatés, libre à eux. Quand on n'en a pas envie, on va au bout de ses convictions. Robert Plant, on ne va pas lui dire comment faire ses chansons. Mais même sans être Robert Plant, ça concerne tous les gens qui ont déterminé leur liberté dès le départ.

Donc oui, ma musique, c'est mon petit artisanat à moi. Et il n'y avait personne pour m'indiquer ce que je devais faire.

Ton disque sort chez Blue Note, qui est un prestigieux label de Jazz. Ça te rajoute une pression supplémentaire ou pas du tout ?

Non, moi je fais juste ma musique...

Le fait d'être sur une maison de disque reconnue, ça t'offre une plus large ouverture sur les médias ?

Non plus, ça n'est vraiment pas rentré en ligne de compte. Ça faisait trois ans que je les connaissais. Nicolas - le directeur artistique - était là, venait aux concerts. Moi je continuais juste à faire mes dates, à vivre ma vie. Puis ils m'ont proposé de signer chez eux. Donc quand ma mère m'a prise entre quatre yeux et m'a dit "ma fille, il faut vraiment que tu enregistres ce disque !", je suis allée spontanément vers les gens qui étaient là depuis le plus longtemps. Ça a toujours été comme ça : les musiciens avec qui je travaille sont là depuis un moment. Thomas, ça fait trois ans et demi qu'il joue avec moi. Donc ce n'est pas quelque chose de nouveau, et ce n'est pas non plus calculé. Blue Note, je trouve ça cool parce que c'est quand même un label qui a sorti des disques de musique instrumentale... Il n'y a pas beaucoup de labels qui oseraient faire ça ! Pour moi, ça c'est vraiment aimer la musique.

Donc c'était une vraie attirance mutuelle.

Oui, avec des intérêts purement artistiques.

Ton disque est très épuré, il laisse beaucoup de place à l'espace, au silence. Il dégage aussi un spleen, une mélancolie qui n'est jamais pesante, mais au contraire très lumineuse. Du coup, il sonne à la fois triste et entraînant.

Oui, ça c'est le fado, c'est la musique de la Méditerranée. Et c'est aussi le blues, où à la base les mecs te chantent des trucs qui sont censés te brûler le cœur. En même temps, il y a une rythmique, une sorte de transe qui te met dans un mouvement. Ce n'est pas fait pour t'enterrer, on ne déploie pas les violons pour te noyer sous les larmes.

J'ai un vrai plaisir à chanter la nostalgie. Le fado m'a énormément marquée, la musique d'Oum Kalthoum, le blues et la musique égyptienne aussi. Cette tristesse vient aussi de ma façon de chanter, et là je ne contrôle rien, c'est juste ce que je sais faire.

Le blues, c'est une influence incontournable. Tout vient de là. Le rock aussi, c'est juste du blues plus dynamique. Même le jazz, jusqu'au swing, pour moi c'est pareil, c'est dérivé du blues. Au début, dans le jazz, il y avait une vraie nostalgie. Puis les batteries sont arrivées, les mecs ont commencé à swinguer...

Cet éclectisme se retrouve dans les textes, qui sont à la fois anglais et berbères. Ce mélange des genres, c'est venu naturellement ?

Oui, parce qu'au Maroc, la musique étrangère, occidentale qu'on entendait le plus, c'était la musique noire américaine, donc en anglais. Et puis quand je joue une chanson comme "Stand Up" à Mexico, les gens te comprennent. Même au Maroc, quand je chante en anglais, ils me comprennent. Alors que quand je chante en berbère, ils ne me comprennent pas forcément. Pour moi, c'est comme pour Bob Marley, qui ne chante pas en créole jamaïcain mais qui chante en anglais. Il y a une universalité avec l'anglais qu'il n'y a pas avec les autres langues. A une époque, il y a eu une vraie déferlante autour de James Brown au Maroc. Il chantait des hymnes, et nous on comprenait le message, "Get Up" ! Ces gimmicks, ce sont de vrais appels à la danse, et seul l'anglais peut le faire avec autant de puissance. Pour nous, au Maroc, c'est super important les gimmicks.

Ça parle tout de suite...

Voilà, et ça m'intéressait beaucoup. L'anglais, c'est de la pâte à modeler, c'est une langue qui permet plein de formes : tu peux l'étirer comme tu peux le rendre plus rythmé.

C'est plus difficile à faire en français...

Oui, et même en berbère ou en arabe ! C'est carrément plus évident en anglais. Pourtant, ma première langue, c'est le berbère. Donc ma langue la plus légitime, ce serait celle-là. Je l'honore quand même en faisant deux chansons en berbère sur l'album. Ensuite vient l'arabe, ensuite vient le français en même temps que l'anglais. Les gens me demandent souvent pourquoi je ne chante pas en français. Oh, les gars ! C'est ma troisième langue ! Si je devais être en légitimité par rapport à une langue, ce serait le berbère. Mais je ne suis pas sûr que ça vous ferait plaisir si je chantais toutes les chansons en berbère. Je doute que ce soit plus accessible, et pour moi, c'est assez indispensable d'être comprise.

Oui, et puis le débat de la langue, je ne suis pas sûr que ce soit ça le plus important.

Oui, l'important, c'est que ça sonne. Quand je vais en Slovénie par exemple, je suis super contente, parce que les jeunes comprennent. Sur un morceau comme "Stand Up", j'appelle le public à être avec moi, le refrain est très clair, et les gens comprennent.

En écoutant Hand Made, on pense à plusieurs chanteuses, à Feist notamment. Ta voix a aussi des accents d'Alela Diane. Je pourrais t'en citer d'autres, mais...

Eh bien vas-y ! Moi ça m'éclate, j'apprends des trucs.

Cat Power, Lhasa, Souad Massi...

Ah c'est bien, sacré cocktail ! Je pense que notre point commun, c'est d'être à peu près de la même génération et d'avoir écouté la même chose. On m'a aussi parlé de Cocorosie, alors que je dois avoir en tout et pour tout deux chansons d'elles sur mon iPod. Et je me rends compte qu'on est de la même génération, on a sûrement eu les mêmes influences, les mêmes générations de parents qui ont écouté des trucs de jazz, c'est assez drôle. C'est cool.

Oui, et ce qui est agréable, c'est que ces ressemblances ne sont pas pesantes, tu parviens à créer un univers qui t'est propre.

Merci. C'est vrai que c'est le but, avoir son propre univers. Sinon, ce n'est pas la peine.

Au niveau de ton chant, y a-t-il des artistes qui t'ont beaucoup influencée ?

Oum Kalthoum ! Dans l'expression, ça m'a beaucoup marquée. Ma mère était fan, elle écoutait ça tout le temps. Après, il y a eu Amalia Rodriguez, avec le fado. Puis Yma Sùmac, Billie Holiday, beaucoup Ella Fitzgerald. Mica Paris, on ne la connait pas bien, mais c'est une super chanteuse. Plein de chanteuses mauritaniennes... Il y a beaucoup de gens en fait, et surtout des femmes.

Tu n'as cité aucune voix masculine. C'est parce que tu en as moins écouté ou parce que ça se ressent moins dans ta musique ?

J'ai constaté que ma sœur écoutait beaucoup plus de mecs, et moi beaucoup plus de chanteuses. Mais si, il y a Mickael Jackson qui m'a marqué, bien sûr, James Brown, Pink Floyd. Mais les femmes quand même, quand elles chantent, il y a un truc...

Plus de profondeur ?

Oui, c'est très intime, leur façon de s'exprimer.

Le fait que ce soit souvent plus compliqué pour une femme de se faire sa place dans le monde de la chanson y serait-il pour quelque chose ?

Tu crois ? Je ne sais pas...

Peut-être doivent-elles se battre davantage ? Et puis on leur renvoie peut-être leur image de femme avant de les considérer comme chanteuses ?

Il y a aussi des mecs qui ont une sensibilité exacerbée. Prince est androgyne et a cette palette vocale qui lui permet d'aller chercher dans des trucs de femmes. Peut-être qu'on ne laisse pas les femmes apparaître plus masculines, parce que c'est plus intime. Une femme comme Tina Turner, sur scène, c'est fantastique. On parle d'hystérie quand il s'agit d'une femme, mais pourquoi ? Les hommes le font très bien, mais les femmes ont aussi une puissance à exprimer. Que ce soit une puissance sexuelle ou une puissance mentale. Quand elle s'exprime chez une femme, ça met peut-être plus mal à l'aise que quand c'est un homme. Mickael Jackson a toujours pu relever ses couilles devant tout le monde, et ça ne choquait personne. Alors que Madonna, quand elle a commencé a jeter sa culotte, elle a fait flipper les gens.

C'est l'image de la femme que ça renvoie qui choque ?

Oui, des trucs un peu ancestraux.

Sur le titre "At The Same Time", il y a une formule qui me plaît particulièrement : "I should die in your arms, love is so beautiful and cruel at the same time". C'est simple mais beau. Ce thème de l'amour revient souvent dans tes chansons. Ça te tient à cœur ?

Oui, c'est un peu le centre de toutes les choses. Les gens qui se battent pour le pouvoir ont besoin de reconnaissance et ont besoin d'amour. C'est toujours un peu la même histoire. Quand les gens ont envie d'attirer l'attention, c'est une recherche d'amour. Il y a un thème que j'aborde sur le mariage arrangé dans la chanson "Oursoul". Quand on parle du mariage forcé, on plaint souvent les femmes, mais on oublie souvent que les mecs aussi sont forcés à se marier. Mais même en berbère, je ne mets pas le doigts dessus, je trouve ça un peu vulgaire. J'aime bien les images, les métaphores. J'aime parler des sentiments et des émotions de façon à ce que les autres puissent se l'approprier.

Là aussi, tu cherches à être la plus universelle possible, en parlant d'amour de façon simple, sans chercher à rentrer dans les détails ?

Sérieusement, tu ne crois pas qu'on a déjà suffisamment de problèmes là-dessus en ce moment ? Parfois, ça m'énerve qu'on insiste sur les différences comme si c'était des barrières alors qu'on est tous au même niveau. Plus je voyage, plus cette pensée se confirme : d'accord, il y a des différences culturelles, il y a des endroits plus ou moins difficiles à vivre, mais pour moi tout le monde part d'une même base. Quand tu mets des enfants dans un même endroit, peu importe l'endroit d'où ils viennent, ils n'ont aucun problème pour s'arranger entre eux. Moi je suis issue d'un métissage, j'ai toute une série de langue... Je ne peux plus m'identifier à un seul endroit, un seul pays.

Tu n'es ni marocaine, ni française, mais un mélange de plusieurs cultures ?

Oui, et je suis loin d'être la seule : on parle d'une génération qui a aboli ces frontières. Il n'y a que les anciens qui restent campés sur leurs positions. Bon, je sors un peu du sujet, mais tout ça pour dire que j'écris sur le commun des mortels.

Il y a un parallèle entre ta musique et ton identité : on ne peut pas la cataloguer, et c'est tant mieux. C'est même ce qui fait sa force. Ton album est un brassage des genres, ce qui lui donne beaucoup de caractère.

Oui, c'est aussi pour ça que j'ai voulu utiliser plusieurs instruments. J'étais souvent à la guitare pour mes lives, et j'ai demandé à mon éditeur de me ramener un clavier. J'ai commencé à jouer dessus, il y a aussi des guitares électriques qui sont arrivées après. Tout ça apporte des couleurs différentes. Ce qui se profilait et ce que les gens attendaient, c'était un truc comme "Beautiful Tango", voix / guitare, "allez, tu me bâcles ça, tu me mets des "claps" et des percus". Moi je voulais aller vers d'autres choses, je ne me serais pas limitée à faire un seul truc.

J'ai essayé de rester très sobre sur disque, car j'aimerais apporter plus de profondeur sur les lives. Pour moi, la vie d'un artiste ne s'arrête pas à l'album. Là où elle devient vraiment sérieuse, c'est sur le live. Pour moi, ça a toujours été quelque chose d'important. C'est comme si j'avais posé mes chansons très gentiment sur le disque, en allant vers les instruments dont j'avais envie, avant d'aller vers le live où là on va donner une marge de profondeur, aller sur de l'impro.

Transformer les chansons ?

Oui, bien sûr, mais on a déjà commencé ça, parce que les morceaux on les joue déjà depuis 3 ans. Là ça fait un an que le disque est fait, je l'ai fini en novembre 2008. Donc depuis un an, on tourne avec les nouveaux morceaux pour que le plat soit bien chaud, bien prêt à la sortie. Je ne me voyais pas faire le disque et tourner après, je préférais tourner les morceaux, puis faire le disque, et continuer sur une autre dynamique.

Je rêve toujours des années 70's. Quand je vois Ike & Tina Turner, je trouve ça super beau, il y a de l'énergie, il y a tout. Et moi j'ai envie d'aller vers ça, c'est ce qu'on essaie de faire sur scène.

On commence à parler de plus en plus de toi. Est-ce que tu le ressens au niveau des concerts ? Le public est plus nombreux, connaît les paroles ?

Oui, et je pense que dès le début, grace à internet, il y a eu du bon bouche à oreille. Quand on est parti à l'étranger, j'étais étonné : à Londres par exemple, il y avait 250 préventes. C'est bien, parce que ça s'est construit au fil des années. Je n'aime pas quand ça sort de nulle part, c'est insupportable. J'aime bien mon parcours parce que jusqu'à présent, c'est progressif, naturel. Je retiens même un peu les choses pour que ça n'aille pas trop vite. Je fais des concerts depuis 2005, et l'évolution est progressive : le rythme des concerts a augmenté de façon naturelle.

De là où je viens, au Maroc, la musique ne passe que par la scène et par le bouche à oreille, elle est imatérielle, il n'y a pas d'industrie du disque. Tu connais le téléphone arabe ? C'est exactement ça. Pour moi, c'était important qu'avant même que les maisons de disques s'intéressent à moi, les gens apprécient ma musique. C'était essentiel pour moi.

Je n'aime pas trop la facilité. Pour ma musique, j'aime bien la logique, le sens et parfois des trucs un peu faciles. Mais pour le métier, je n'aime pas la facilité. J'ai aimé aller vers des gens qui ne me connaissaient pas. C'est dur, mais au moins tu sens le fruit de ton travail. Une chose dont je suis fière, c'est qu'en concert, les gens ont toujours ressenti ce qu'on faisait là. Tu ne peux pas leur mentir. Si tu ne donnes rien, ça se voit tout de suite. Pour moi, c'est un échange, c'est du ping-pong.

Dernière question, pour finir : quels sont les artistes qui t'ont touchée récemment ?

Tinariwen. Ce n'est pas récent, mais ils me marquent toujours, j'écoute très régulièrement. Dernièrement, il y a Group Doueh, un groupe mauritannien dont on va entendre parler. Ils vont être programmés sur plusieurs festivals, ils commencent à être connus. J'ai travaillé avec eux, ça a été fantastique. Sinon, il y a Ebony Bones, le dernier album de Robert Plant avec Alison Krauss, le dernier Q-Tip aussi.