Comédie
dramatique de Eric Assous, mise en scène de Jean-Luc
Moreau, avec Isabelle Gélinas, Jean-Luc Moreau et José
Paul.
Un grand open space impersonnel, une large baie et un salon
pourvu d'un seul siège. Un indice quant à la convivialité
du lieu. Un couple bourgeois marié depuis suffisamment
longtemps pour que la dame requiert un état des lieux.
Celui de leurs infidélités réciproques.
Sujet épineux de ceux qu'il est de bon ton d'éviter,
toute vérité n'étant pas bonne ni à
dire ni à connaître, même pour ceux qui prônent
la liberté dans le couple.
Des infidélités au pluriel pour lui, au singulier
pour elle. Rien que de très banal somme toute : un mari
a des maîtresses, une femme a une liaison. Même
si elle, fine mouche et avec juste ce qu'il faut de perversion,
ayant intégré que le mariage, pour durer, est
affaire de fausse docilité et de vraies concessions,
le savait, l'aveu n'est guère plaisant. Pour lui, qui
aurait écarté - peut-être - avec longanimité
les écarts éphémères des sens, une
seule liaison de plusieurs mois le taraude notamment quant à
l'identité du quidam qu'il subodore bien être un
des proches. Un traître est forcément un ami et
vice-versa. Juste quand se manifeste un ami.
A partir d'ingrédients thématiques de base maintes
fois remis sur l'établi, mais y en a-t-il encore d'inexplorés,
et en maître queux-accompli, Eric Assous
a mitonné pour "L'illusion conjugale" une excellente
déclinaison pinterienne à la française
autour du mari, de la femme et de l'amant qui dynamite une fois
encore la belle institution matrimoniale. A la française
parce élégante conversation entre gens policés,
et bavarde, ce qui n'est forcément un défaut,
face au laconisme anglo-saxon de l'auteur du cultissime "Trahisons"
dans lequel tout réside dans le sous-texte et le non-dit.
Le tout saupoudré d'un humour taraudant et corrosif.
Jean-Luc Moreau, expert en mise en scène frénétique
de comédie de boulevard, a, en l'occurrence, laisser
le turbo au vestiaire pour adopter un rythme de croisière
presque lent qui laisse bien le temps aux choses de se poser
et, surtout, de macérer, ce qui sied particulièrement
à la vivacité des dialogues qui, s'ils sont à
fleurets mouchetés au début de ce match en trois
rounds, deviennent vite effilés comme des rasoirs. Ca
saigne de l'intérieur malgré le filtre du cynisme
ou du détachement, sur un fond amer de désenchantement.
Jean-Luc Moreau, sur scène, est, par ailleurs parfait
dans le rôle du mari, et surtout de l'homme archétypal
qui cumule un certain nombre de traits caractéristiques
de la gente masculine, de la mauvaise foi légendaire
à l'ancestral instinct de mâle possessif, et dont
la superbe se délite progressivement mais sûrement
et pathétiquement.
José Paul met tout son talent et son humour flegmatique
au service du rôle du tiers, un looser cumulard, divorce
plus chômage, plutôt bonne pâte, ami, arbitre,
rival, que le huis clos qui se veut primesautier va pousser
dans ses derniers retranchements.
Entre les deux, Isabelle Gélinas, excellentissime, apporte
toute l'ambiguité souhaitée à la femme,
belle, élégante, intelligente, qui prend la pose
et joue avec le feu pour combler la vacuité de son existence.
Dans ce jeu d'embuscades verbales où les personnages
soumis à un jeu de massacre ont du mal à conserver
l'impassibilité de leurs homologues forains, le trio
officie en véritables partenaires pour exécuter
au diapason ce délicieux requiem en trois mouvements. |