Trois groupes de sensibilité "blues" sont programmés, ce soir, au New Morning. Malheureusement, rapidement nous apprenons que le groupe Harry Manx est retourné au pays, le Canada, pour raisons personnelles.
Dommage, son blues tradionnel mâtiné de sitare indienne avait tout pour plaire sur le papier.
Arrivés tôt dans la salle historique du New Morning, qui a relancé le jazz dans les années 80, où se sont produits Dizzy Gillespie, Chet Baker ou Stan Getz, avec Charlotte et Sarah nous prenons place aux abords de la scène, autours d'une petite table.
Rares sont les concerts que je ne passe pas dans la fosse mais d'où nous sommes, nous pourrons apprécier le jeu des ziquos et ce sera aussi plus simple pour Charlotte de shooter, sous tous les angles, les groupes successifs de cette soirée.
Une heure d'attente avant l'arrivée du premier groupe, ça fait un peu beaucoup mais peu importe, nous en profitons avec Sarah et Charlotte pour faire connaissance.
Les premiers à fouler la scène sont les H-Burns, groupe français avec déjà trois albums à son actif. On sent que les influences musicales des H-Burns viennent du pays de l'Oncle Sam, qu'il s'agisse de balades folk ou de classic rock péchu. Ils ne paient pas de mine (le chanteur, tête ébouriffé et barbichette, arbore une chemise à carreaux très middle west), mais dégagent une certaine présence sur scène.
Le chanteur est clairement le plus charismatique de tous (il présente et fait la transition des morceaux, bouge bien) et a travaillé son timbre de voix pour le rendre très "américain".
J'ai trouvé que sa façon de chanter se rapprochait assez nettement en intensité de celle d'Eddie Vedder, le leader des Pearl Jam.
Et comme Eddie, il a la bougeote sur scène et une voix aussi bien taillée pour l'interprétation de belles ballades electro-acoustique que pour des morceaux plus rock.
Lorsque les H-Burns s'énervent, c'est du bon classic rock à la Springsteen, on en redemande.
Mais indéniablement, c'est lorsqu'ils furetent vers un espèce de folk-blues très légèrement country, à l'ancienne, que j'ai le mieux apprécier ce groupe.
Comme le chanteur, le gars aux claviers donne de sa personne.
Outre le clavier, il s'adonne à la guitare slide ou la scie musicale, cet instrument bizarroïde dont on a tous entendu des sons dans des films tout aussi chelou (en me creusant bien, il me vient Vol au dessus d'un nid de coucou ou Arizona Dreams).
On a donc vu là un groupe très agréable sur scène, proposant des ballades comme ils savent si bien le faire de l'autre côté de l'Atlantique, vivantes, servies par de nombreux instruments.
Ce hors-d'oeuvre était bien sympa en bouche, goûtu mais à la fin du repas, il restera quasi anecdotique face au plat de résistance qui va venir.
Dire que l'on s'est régalé avec les Bo Weavil est encore loin du compte.
Le "boll weevil" est un insecte qui oeuvrait dans les champs de coton et devint symbole de résistance dans les années 20 au sein de la population noire exploitée, jusqu'à l'hommage de Charlie Patton avec son "Mississipi bo weavil blues".
Vous l'aurez donc compris, avec ce groupe – français encore ! – venu de Nantes, l'heure est au blues. Mais attention, un blues furieux, loin d'être désespéré ou mélancolique.
Ce groupe est considéré comme l'un des meilleurs d'Europe dans ce style delta blues (le blues originaire du Mississipi) et lorsque l'on voit l'énergie de ce trio – batterie, basse, guitare/harmonica – sur scène, on comprend pourquoi.
Pendant 1h30, ces Bo Weavil vont revisiter des standars blues, (le "Catfish Blues" de Muddy Waters, une ou deux reprises de John Lee Hooker, un chant d'esclave qui prend aux tripes) mais aussi imposer des titres de leur cru, bien écrits, endiablés qu'il s'agisse de blues survitaminé, de boogie ou mambo un brin sauvage.
Un personnage en impose grave dans cette formation – Boogie Matt – en assurant le chant (vieil accent de blues man des années 20, excellent !) l'harmonica au son très métallique et la guitare.
Il amène chaque morceau par une ou deux anecdotes, le rendant en plus très sympathique.
La plupart du temps, si les morceaux commençent dans une ambiance blues tranquille très roots, l'emballement arrive vite et la guitare devient alors boogie, groovy, rock'n'roll. La guitare se fera tour à tour electro acoustique, slide ou bien électrique.
Le batteur n'est pas en reste tant il maîtrise aussi bien les caresses des cymbales, les roulements et accélérations à la batterie, mais aussi des percus un peu mambo.
Il ne serait pas galvaudé d'affirmer que ces Bo Weavil utilise à la fois les codes du blues énergique d'un Rory Gallagher et le boogie de Brian Setzer, tout en gardant une base de blues à l'ancienne dans le son (aspect chaud et métallique).
Les morceaux défilent dans une qualité musicale impressionante. En fermant les yeux, on se croirait dans un rade surchauffé et brumeux du Mississipi
; leurs rictus, leurs regards de mômes (entre eux) sont aussi le reflet d'une énorme envie de jouer, de donner, de partager.
Question ambiance ?
Il ne s'agissait pas d'un silence de cathédrale dans la salle en voyant la démonstration blues/boogie de ces doriphores du Mississipi mais à l'inverse, une atmosphère de plus en plus festive dans le temps – des habitués du groupe étant présents, plus les connaisseurs du style – manifestée par de petits cris dans la foule et pas de danse chaloupés.
Moi je dis qu'un tel concert, c'est une grosse claque et un pied pas possible. |