Robert A. Lowe aka a précisé avec Lichens sa dimension musicale. Spécialiste de l’ombre, il parvient sur scène à mêler improvisation et rigueur, réussissant à imprimer son style, à le développer, sans tomber dans une forme répétitive. On a le sentiment de voir un peintre devant sa toile, inventant les couleurs qui lui serviront à composer un tout homogène : organiser sa cohérence, c’est exprimer par le seul moyen des plans la complexité de la lumière, et les contrastes qui la mettent en valeur. Deux longs morceaux ont suffi à dessiner le mystère de cet artiste. Une demi-heure peut sembler court, mais on peut croire que cette musique aurait perdu en force sur la durée : l’énergie se serait éparpillée, la musique aurait perdu une part de son élégance.
L’objectif de Robert Lowe ce soir-là était de poser les bases d’une œuvre probablement plus vaste à venir. Déjà avec The Psychic Nature Of Being, il s’était approché d’une beauté formelle.
Il ne lui reste désormais qu’à donner plus d’ampleur à ses lignes d’improvisations, à les affiner afin que puisse se révéler le caractère brut de son univers. Le charisme ici procéderait d’un savant mélange entre lenteur et silence.
Le groupe américain Om a joué sur scène des variations autour du "post metal" − disons si l’on veut paraître plus clair : le point de jonction entre rock gothique et punk cérébral.
La participation de Robert Lowe aux claviers ne change pas véritablement le caractère austère de cette musique : alors que Lichens inventait, pendant la durée de son concert, des possibilités d’appréhender la musique sous forme de couleurs, Om semble se maintenir dans le noir, sans possibilité d’éclaircies, sans rien de décisif qui puisse surprendre un public non connaisseur.
Mais on ne peut raisonnablement reprocher à ce groupe de manquer d’élégance. Son dernier album God Is Good a bénéficié du savoir-faire du producteur Steve Albini, dont on connaît l’intransigeance en ce qui touche la technique du son.
Sur scène, l’éthique Albini se perçoit lorsque le groupe apprend à condenser son agressivité par un certain minimalisme : l’instrument principal, la basse, oriente cette musique vers une volonté de mesure.
Cette impression culmine à la fin du concert, où l’on perçoit mieux le trait d’union possible entre expérimentation et dépouillement. Seulement il fallait être préparé pour accueillir ce contraste.
Le caractère biblique des textes souligne en réalité l’inconfort d’une monotonie. Ce concert ressemble à une messe païenne : les musiciens imitent une époque où noirceur et lenteur épuisaient l’attitude punk, pulvérisant les reliefs d’un rock conventionnel. Si je parle d’"imitation" et non d’"incarnation", c’est parce qu’au-delà de l’effet de mode où le retour constitue la règle, il ne reste que geste mécanique et fausses prétentions.
La sensibilité est absente d’une musique où la structure reste systématique. La répétition définit l’alpha et l’omega de cette formation : les morceaux s’axent sur un motif simple – une ligne de basse accentuée, une voix grave dont les scansions se détachent de la dynamique centrale, une batterie techniquement indiscutable – et le déclinent jusqu’à la fatigue. Quitte à répéter ce qui s’est déjà joué, autant que cela soit fait selon une progression : théoriquement la répétition implique qu’un élément, même léger, dérape, provoquant un décrochage dans l’ossature musicale.
La plupart des groupes de rock de notre époque − post-rock / post-punk / post-metal comme on les appelle aujourd’hui, pour bien préciser qu’ils viennent "après" un moment qu’ils n’ont pu dépasser – passent à côté de ce processus, se contentant de recycler quelques groupes inattaquables des années 70 – 80. On mesure bien aujourd’hui ce que tous ces post-groupes doivent à Joy Division : que ce soit le versant minimaliste avec The XX ou prophétique avec Om, on voit que la beauté minérale d’un album comme Unknown Pleasures n’a pas encore libéré tous ses secrets.
Il est légitime de se demander ce que ces imitateurs amènent réellement au rock ; les transformations qu’ils décident (ou non) d’accomplir ; l’évolution qu’ils cherchent. Mais l’ennui maîtrisé qui domine le concert nous plonge dans un malaise significatif. Cette musique ne nous touche pas parce qu’elle ne nous parle pas. Sous la texture des morceaux s’organise un agencement qui remplace les nerfs, le sang, le souffle ; une fabrication binaire remplace la spontanéité créative ; le style apocalyptique supplante les machines désirantes. Exercice programmatique qui ne fera pas longtemps illusion. |