Allez piocher son nom dans un roman de Boris Vian en juxtaposant les prénoms de deux "héros" de l'écume des jours, reprendre Baudelaire ou Appolinaire sur le même disque, cela commence à faire beaucoup pour un seul homme, fut-il un fier et vaillant breton et c'est donc avec quelques pincettes sinon quelques a priori que l'on se plonge dans Appeaux.
Cependant, d'autres indices poussent à croire que ce disque est plein de qualité et celui qui saute assez rapidement aux yeux est son label qui n'est autre que celui qui, l'an dernier, eut la bonne idée de publier le premier et très beau disque solo du chanteur de Tue Loup, Xavier Plumas, La gueule du Cougouar et à la première écoute, il est évident que ces deux là ont un point commun. L'art de créer des ambiances, de raconter des histoires quotidiennes et universelles à la fois. A la différence près que, si Plumas use souvent de textes parfois abstraits, Colin Chloé fait plutôt dans le concret, jusque dans sa mise en musique de poèmes puisqu'il choisira le très beau "Le vin de l'assassin" de Baudelaire qui n'a rien d'abscond ou le très terrien, maritime devrais-je dire, "Laissant Quimper" d'Appolinaire.
Là où se retrouvent les deux, c'est aussi dans cette musique faussement lascive, orchestrée savamment autour de guitares paresseuses, langoureuses même, donc le contour est mis en relief par des percussions discrètes et élégantes. Du blues à la française en somme, dont même l'harmonica parcimonieusement utilisé n'arrive pas à agacer, bien au contraire, comme sur "Au repos".
"Les équilibristes" qui tient autant de la chanson française d'après-guerre (évoquant Bourvil autant que Alexis HK) que du folk americain (on pense aussi aux français de Santa Cruz) montre que Colin Chloé a plus d'un tour de chant dans sa guitare, ce que confirme d'ailleurs "L'évasion", chanson réaliste et émouvante, qui flirte le temps d'un refrain avec un Miossec qui aurait de l'inspiration.
Colin Chloé sait aussi transformer les petites histoires en chroniques militantes et passer en revue le temps d'une chanson, "Le jardin des orangers", l'économie de marché et le capitalisme toujours avec autant d'émotions, de simplicité et de poésie qui font, déjà, son style. Un style qui sait manier avec brio la langue française sans tomber dans la facile variété, ni dans la pauvreté de rimes tout aussi facile.
Difficile d'extraire telle ou telle autre chanson de ce disque aussi cohérent que beau. Parlons tout de même de "Chamade" sur lequel plane le fantôme de Bashung, de "Mortimer" ou encore l'envoûtant "Le marin" et sa guitare tranchante adouci par un soupçon de voix féminine apportant toutes deux une dimension quasi charnelle à la chanson. Mais ne croyez pas que seuls ces titres valent la peine, tout est à l'avenant et il sera bien difficile de ne pas se faire prendre dans les filets de Appeaux.
Filets d'une chanson française classieuse et sans complexe, intelligente et élégante. A ne rater sous aucun prétexte. |