Les Nuits de l'Alligator ont de nombreux atouts, à commencer par une programmation aventureuse et difficile axée autour du blues.
A priori plutôt pointue et touchant un public très ciblé, la programmation a toujours su ouvrir ses portes à toute sorte de musiques ayant trait de près ou de loin au blues, que ce soit en proposant de vieux briscards barbus les bottes dans le bayous ou de jeunes pousses influencées d'une façon ou d'une autre par cette musique de l'âme et des tourments.
Ce soir, à la Flèche d'Or, le programme s'annonce aussi intéressant puisqu'une fois de plus, l'affiche propose découverte et valeur sûre.
Pourtant, ce soir là, ça coince un peu et l'Alligator semble un peu fatigué. Le public, lui aussi, n'est pas d'une ferveur exemplaire. Il arrive tard et par petits groupes, attirés en ce lieu de toute évidence par le bas prix et l'assurance d'y trouver de la musique live pour boucher les (trop rares) trous dans leurs conversations chiantes mais tellement hype. Un public de parisiens en goguette donc, plus que de vrais curieux venus taquiner le crocodile.
Autre constat, les concerts annoncés pour 19h30 (heure de l'ouverture de la salle en réalité) ne commenceront que deux heures plus tard, les artistes et le public déjà présents, victimes de ce faux public venu tenir salon après, imaginons, un restaurant plus ou moins japonais.
C'est donc avec une patience et un enthousiasme pour le moins émoussés que nous accueillons le premier groupe.
Eldia, groupe français, est composé de quatre membres et vient de sortir son premier album Yayaya.
Heureux d'être là (ce sont eux qui le disent), les Eldia se démènent sur la scène tandis que leur fans s'enthousiasment dans la salle.
Musicalement, le groupe joue une power-pop plutôt classique lorgnant, s'il fallait citer un groupe connu, du côté de Franz Ferdinand par exemple.
Energiques et généreux dans leur jeu, Eldia emballe tout de même assez moyennement. D'autant que le fil rouge "blues" semble rompu, faisant davantage ressembler ce concert à une fin de soirée d'un tremplin "Rock is dead ?" qu'à une mise en bouche préparant l'arrivée sur scène de Josh T. Pearson, au point de se demander, jusqu'à l'apercevoir dans la salle, s'il jouera bien ce soir là. Raison de plus en tout cas pour regretter la présence de Honkeyfinger, autre chevelu, déprogrammé au profit de la Maroquinerie l'avant-veille.
Bref, Eldia(blo ?) a fait son job, venir présenter son album Yayaya en vente au fond de la salle avec de beaux polo rayés. Sans doute pas un mauvais groupe mais un rendez-vous raté à remettre à une date ultérieure...
Le batteur fera un petit extra après une courte pause pour venir accompagné d'un tambourin et de marracas le jeune Jeremy Jay pour un set un peu court (non, je ne dirais rien sur l'heure tardive de début de concert) mais, malgré la désaffection de la salle par les moins curieux (ou ceux qui habitent le plus loin), plutôt réussi et en tout cas très touchant.
Son folk dépouillé et parfois maladroit dévoile quelques bien jolies chansons et les pas de danse mal assurés de ce grand mec de Los Angeles aux airs d'éternel étudiant ne font que renforcer la sympathie qu'il semble générer. On pense à la prestation sur cette meme scène il y a environ un an d'Eugene McGuinness, autre grand timide aux mélodies touchantes.
Très court set donc et rapide changement de plateau tandis que l'hémorragie de public ne reussit pas à être résorbée.
Il faut dire que cela semble bien difficile d'attirer l'attention sur une folk intimiste, tard et après un groupe plutôt dansant et énergique.
Arrivé un peu tard, Josh T. Pearson s'installe enfin et fait ses balances sous nos yeux avec beaucoup de calme et d'attention pour les régisseurs. Un pupitre avec son texte sous les yeux, il nous annonce qu'il va, ce soir, revisiter quelques classiques folk et country.
Guitare en bandoulière, Pearson chantera donc l'amour perdu et les âmes errantes.
Bien ancré au sol dans ces superbes santiags, Josh T. Pearson est pourtant bien loin dans sa tête, flottant au-dessus de la scène tandis que son chant chamanique nous envoûte, touchés par sa voix superbe, fragile et imposante autant que par son regard clair et perçant au travers de sa chevelure et de sa barbe denses, le protégeant sans doute de quelques vilains esprits dont l'Amérique a le secret.
L'expérience est de courte durée et lorsqu'il s'arrête de jouer, aussi brutalement que cela avait commencé paisiblement, il reste dans la salle de la Flèche d'Or une sorte de présence indicible, une aura qui nous enveloppe et on regarde benoîtement Pearson ranger son matériel, enfiler ses mitaines de cuir et descendre dans la salle à la rencontre du public. Il a l'air totalement humain, après tout. |