J'ai toujours adoré les reprises. L'exercie me paraît même, pour tout dire, indispensable. Et je me souviens d'avoir passé de longues soirées, plus ou moins alcoolisées (nous étions majeurs et consommions avec modération, rassurez-vous) à discuter avec des amis comme moi music-freak, pour décider qui de l'original ou de la reprise était le meilleur, si une bonne reprise devait être inventive ou fidèle, dans quelle mesure, etc. Vous imaginez je pense sans difficulté l'intensité du débat.
La reprise ("cover", en anglais, soyons chic) a sur la composition originale l'avantage certain, qui est un danger, de devoir se confronter à un passé, qui peut être glorieux ou médiocre, lourd de signification, connu ou inconnu du public... Mais c'est leur présent qui doit savoir rester intéressant et certaines reprises ont réussi à acquérir une renommée propre, que ce soit en éclipsant purement et simplement leur original (hé oui, il faudra s'y faire : "Tainted Love" est bien une reprise d'un titre de 1964 de Gloria Jones !) ou en devenant leur alter-égo essentiel (qui voudrait choisir entre les versions dylannienes ou hendrixiennes d' "All along the watchtower" ? L' "Hallelujah" de Leonard Cohen et celui de Jeff Buckley ?). Certaines reprises sont scandaleuses d'opportunisme, d'autres sont un vibrant et émouvant hommage. La reprise est un monde musical à part entière ; la troisième dimension sur l'écran plat de la composition.
Les albums de reprises, eux, me laissent souvent un goût de déception, fussent-ils l'oeuvre d'un créateur aussi intègre que Marc Collin, qui a tout entier dévoué son projet Nouvelle Vague à cet art difficile. Même pour Nick Cave (Kicking against the pricks), même pour Cat Power (The cover record ; Jukebox ; et bientôt Dark End of the Street ?), il y aurait comme un mur infranchissable : aussi excellentes soient les reprises proposées, individuellement, l'excitation retombe quand on les rassemble en album. Est-ce l'unité de l'oeuvre qui fait défaut ? Est-ce que, sauf exception, il est difficile d'entretenir avec chacun des titres originaux cette relation unique du genre de celles qui fait s'écrier, assez fort pour que tous l'entendent "oh putain !" au milieu d'un Zénith montpelierain bondé lorsque, seul dans la foule, on reconnait enfin, à ses paroles, ce "20th Century Schizoid Man" repris par Noir Désir.
C'est un peu cet enthousiasme soudain qu'a su faire naître chez moi ce disque, à peine regardé avant que d'être écouté : Turn ons, par The Hotrats. De bon matin, écoutant avec le recueillement de celui qui veut boire tranquillement son café, je tressaille bien vite : c'est bien "I can't stand it anymore" de ces messieurs leurs altesses musicales éternelles du Velvet Underground qui ouvre la danse, dans une version très rock. Attention attirée, infailliblement. C'est là la force d'une reprise.
Un peu étonné néanmoins par le choix gonflé d'ouvrir ainsi un album, je me jette, curieux, sur la pochette et la petite note biographico-promotionnelle qui accompagne le disque. Surprise : l'album en est bien un de reprises et derrière The Hotrats se cachent Gaz Coombes et Danny Goffey de Supergrass. Le disque est enregistré sous la férule de Nigel Godrich (producteur historique de Radiohead ; mais aussi : Air, Beck et plus récemment Charlotte Gainsbourg) et s'offre douze titres d'artistes aussi recommandable que le Velvet déjà cité, The Doors, les Beastie Boys, Pink Floyd, The Cure, David Bowie, les Sex Pistols... et l'on en passe quelques uns à peine moins alléchants.
Toujours juste, pertinent et de bon goût (ce qui est déjà un exploit en soi quand on considère l'exercice et les monuments auxquels il s'affronte), l'album réussi à être inventif sans jamais dénaturer l'âme des titres qu'il s'approprie. Et s'il n'y a pas sur le disque l'une de ces reprises ultimes qui semblent révéler l'essence profonde d'une composition avec plus de justesse encore que son interprétation originale, on n'y trouve que de bonnes pièces de rock bien ouvragées, qui tournent impeccablement et sans autres grincements que ceux que l'on attend d'instruments amplifiés et saturés.
Etablir une liste des meilleurs moments sera périlleux car, outre la subjectivité que l'on doit bien concéder à chaque auditeur, il faudra aussi faire la part de sa propre biographie musicale. Pour ma part, c'est sans surprise que j'ai préféré les reprises du "Crystal Ship" des Doors, du "Queen Bitch" de Bowie, du "Bike" de Pink Floyd et, est-il besoin de le dire, du "I can't stand it" de la bande à Lou Reed – autant de titres avec lesquels j'ai grandi. A chacun, l'oreille attentive, de se faire son idée là-dessus.
Il y a en revanche une chose que l'on ne pourra pas retirer à cet album : il n'est pas loin d'être ce que l'on peut attendre de mieux d'un album de reprises. Authenticité, production parfaite (à l'antithèse du côté cheap que, faute de pouvoir faire mieux, on cultive souvent dans ces occasions), respect et créativité, vitalité et énergie, concision, jamais jusqu'au-boutiste ou auto-justificatoire – on ne saura,en bref, trouver à ce Turn ons que des qualités. Une visite s'impose, tout simplement, à ceux que le nom de l'un des groupes représentés au moins mettrait en appétit. |