Au nom du père
Parfois il convient d’avouer son ignorance et de profiter de celle-ci pour se faire surprendre. Bienheureux les simples d’esprit, le royaume des cieux leur est offert… Si le Blues est une religion, confessons-le alors, nous ne connaissions pas Bernard Allison…
Évidemment nous ne nous en sommes pas vantés, à l’heure où les fidèles, réunis au nom du Fil pour l’occasion, sombrement vêtus – c’est culturel ? – attendaient le prophète. La marée noire compacte, faite d’ombres fuyantes, aujourd’hui ici, ailleurs demain, insaisissables fidèles de la planète Blues, attend.
On laisse traîner l’oreille : Bernard Allison est le messager, le porteur de la flamme. Etre le fils de la légende du Blues Luther Allison, c’est porter une croix qui elle même vous transporte. Etre Bernard Allison, c’est donc avoir la légitimité et la mission de faire vivre la musique Blues, mais aussi la quasi obligation, pour exister de la faire évoluer, d’aller vers d’autres horizons, de créer…
A quarante ans bien passés, et douze albums crées, Bernard doit avoir les épaules bien larges pour porter sur une, la tradition et l’histoire, sur l’autre l’avenir et la modernité !
Quand les quatre apôtres Saint-Jean Bassiste, Sax, Batterie et Claviers entrent en scène, la marée noire se colle à la scène et la vague de bras en l’air se déplace lentement, comme autant de goélands mazoutés…
Bien humblement Bernard Allison laisse la cérémonie démarrer sans lui : ses musiciens placent le cadre, et on comprend que là nous sommes face à une grosse machine, bien huilée, puissante et généreuse.
C’est tout aussi humblement que Bernard fait son entrée et salue son public, prenant le temps de faire tourner quelques morceaux blues de bonne facture, avant d’exploser le moment venu en incroyables solos, pour le plus grand plaisir de la salle.
Comptant parmi les meilleurs guitaristes – dans les 10 premiers mondiaux ! Mais qui fait ce classement ? Y a t-il un championnat ? Des catégories de poids ? – on vient ici s’en mettre plein les yeux, plein les oreilles. Le miracle doit avoir lieu devant nous.
Alors le Bernard Allison Group multiplie les performances. Les instruments se répondent sans jamais multiplier les pains. Les styles se succèdent de morceaux en morceaux, teintés de blues funk ou rythmes hip-hop, et viennent donner du relief au set et créent une vraie richesse. Une vraie cohérence de style assurée par le groupe, alliée à une pluralité de rythmes et d’influences, font de ce moment un véritable plaisir, porté par un Bernard Allison qui dégage une sympathie palpable et une générosité qui n’a d’égal que le plaisir des musiciens à partager la scène avec lui. La soirée déroule ses charmes entre admirations béates et clins d’œil au papa.
Mais la technique n’a pour moi de sens qu’au service du concept artistique à développer, et si globalement le Bernard Allison Group l’a bien compris, mais culturellement, chaque courant musical a ses codes… Ce soir on veut voir du solo, on veut voir la basse provoquer la guitare, le clavier tirer son épingle du jeu musical, le saxo nous couper les jambes, la batterie le souffle ! Et effectivement plus de dix minutes de solo du batteur seul en scène, quelque soit la performance, me coupe non seulement le souffle, mais aussi le plaisir du concert. Le "bling-bling" est de rigueur en cette fin de set. Le rappel est particulièrement long, chaque morceau pesant son quart d’heure et sa démonstration musicale qui émousse sensiblement mon enthousiasme initial…
Mais tout cela n’engage que moi, car les fidèles unis autour Bernard Allison Group ont vibré jusqu’à la dernière note et ont plébiscité jusqu’au bout – c’est culturel j’vous dis ! – les solos de celui que je garde quand même volontiers comme l’un des meilleurs du moment.
Le blues a un bel avenir, les Allison sont toujours là ! |