Dans l’argot des musiciens de jazz du siècle dernier, "the 88 man", l’homme aux 88 touches, c’était évidemment le pianiste. C’est de là que Leo a tiré son pseudo, à l’époque où il officiait en solo, penché sur l’échiquier de son clavier. Trois albums plus tard, il s’est trouvé de nombreux amis et c’est en excellente compagnie et en trio (accompagné de Dudy Ruby et Pierre Marolleau), le piano entre parenthèses, qu’il nous propose un troisième opus aussi délicieux qu’atypique.
Atypique, il l’est tout d’abord dans le paysage français, ce disque anglophone. Parce que l’on aura l’impression d’y entendre les fantômes du Bill Calahan de l’époque la plus glorieuse de Smog, du Stuart Staples le plus intériorisé – voire, de façon fugace, du Bowie de l’époque Scary Monsters. Parce qu’une folk aussi légère, aussi évidente malgré ses arrangements si travaillés n’a pas tout à fait l’air de venir d’ici – sent les grands espaces de l’ouest, le brouillard londonien, le vert d’une prairie ; tout sauf notre terroir franchouillard.
Le disque se distingue aussi par son format puisqu’il sera disponible uniquement sur vinyle (le client en aura cependant pour son argent car un code lui permettra de se procurer en ligne la version mp3 – ouf !). Ce retour au 33 tours, outre qu’il correspond bien à l’alternative que tentent d’offrir certaines "petites" maisons de disque en valorisant l’objet face au seul contenu musical d’une collections de titres à quatre vingt dix neuf centimes d’euro l’unité, justifie ici en sus la division de l’album en deux "faces", la première acoustique, la seconde plus électrique (si l’on peut être plus sensible au détachement un peu aérien de la première partie de l’album, à une certaine sensation de lenteur, synonyme de langueur et de mélancolie, on ne boudera cependant pas la seconde qui a pour elle un peu de l’insouciance d’une pop moins grave).
Conformément à l’habitude prise avec l’album précédent (Drown’in by waiting, autoproduit, 2008), Leo s’entoure de nombreux invités. On retrouvera ainsi avec plaisir Chiara Loardi de L’Enfance Rouge, venue nous dire sur "Di Corsa" quelques fragments d’un poème de Jacopo Andreini. On rencontrera aussi Tony Verloc de TV Glory ; Tall Paul Grundy, musicien lillois déjà présent dans l’album précédent ; Nahisa et Sureya Abdou pour un duo violon / violoncelle échappé du grand orchestre Vazytouille en compagnie du trompettiste Christian Pruvost… Cette pléthore d’invités permet à l’album de s’enrichir de nombreuses couleurs et, évitant de tomber dans la paresse d’une folk lo-fi aussi creuse que répétitive, de garder une saveur identique tout le long de ses quarante minutes.
Avec des titres aussi savoureux que "Locked Groove", "Naked" ou "Speaking parts", Leo (88 man) pourrait avoir trouvé avec ce troisième album le moyen de gagner ses titres de noblesse. |