Il faudrait pour bien parler d'un album pouvoir trouver le mot juste. Un mot, un seul. Qui a lui seul en résumerait tout le trajet, tout l'esprit, tout le sujet, le verbe et l'objet. Un mot qui serait au disque le nom propre, le seul, son propre nom je veux dire, doté du pouvoir que lui confèrent les légendes : le contrôle de son âme.
Mais où se cache l'âme d'un disque ? Il est des disques dépourvus d'âme, c'est certain – de ces disques-là avec lesquels on ne voyage pas, Monsieur ; on compte, les ventes et les euro-dollars, ce qui est déjà quelque chose ; toute petite chose, qui ne compte pas, ne devrait pas compter.
Mais où se cache l'âme des grands albums, comment la posséder ? Il ne reste d'espoir à l'auditeur, apprenti sorcier mélomane, que dans l'écoute. Écouter. Écouter, encore et encore, jusqu'au par-cœur. Et surtout un peu plus loin encore. Écouter jusqu'à à parvenir à entendre, entre les lignes mélodiques, au détour d'un silence entre deux pistes, manière de ponctuation, entendre ce seul mot qui signifierait tout. Écouter jusqu'à n'avoir plus de livre pompeux à écrire pour parler de cet album – n'avoir plus qu'un mot à la bouche, rien qu'un seul. Que l'on pourra bien imprimer au milieu de dizaines de pages blanches, comme on plie un millier de grues en papiers, pour voir s'accomplir un vœu. Comme un haïku ou un koan – ces formes littéraires japonaises qui visent, justement, à l'évidence, dans la simplicité ou dans le paradoxe. Ainsi de Mono. Parler de Mono avec évidence. Voilà qui ne sera jamais facile.
En attendant, il faudra bien raconter le disque, dévoiler en trop longues phrases, lascives étendues, toute l'intimité qui nous unit à lui ; donner à d'autres l'envie de venir s'y frotter, se laisser charmer, emporter.
S'agissant de Mono en concert, on aura une occasion supplémentaire, un nouveau point d'ouïe (comme on parlerait de point de vue) pour tenter de percer le mystère. S'agissant de Mono en images, on devra, certainement, en revenir au balancement des corps, à ces étonnantes présences fantomatiques, écrasantes d'absence...
Holy ground – la terre sainte. Titre énigmatique pour ce premier live de la formation japonaise, enregistré à New York en compagnie d'un orchestre symphonique : le Wordless music orchestra, formation de 24 pièces issue des Wordless music series, projet visant au rapprochement des musiques "classiques" et "modernes" – mieux : à l'effacement de la dichotomie qui les sépare (jusque dans la sociologie de leurs auditeurs, dans la littérature qui en traite). Comme un koan, là encore, dans la compréhension duquel se dissout l'apparente opposition.
L'album est proposé sous la forme d'un DVD accompagné soit d'un CD soit de trois trente-trois tours, si vous avez la chance de mettre la main sur une des trois mille copies vinyles, le CD comptant une titre de moins que les deux autres supports ("Follow the map").
Environ une heure et demie des grandioses compositions de Mono, leur intensité et leur puissance parfaitement mises et scènes et capturées, la nouvelle orchestration faisant mouche avec une évidence déconcertante. Il est vrai que la discographie de Mono nous avait déjà habitué aux sonorités d'instruments plus classiques, notamment sur son dernier album studio, le grandiose Hymn to the immortal wind (Temporary Residence, 2009). Mais mêmes les pièces plus anciennes, plus évidemment ancrée dans l'âme rock du quartet d'origine, comme "Where Am I ?" (issu du légendaire One step more and you die, 2002), "Halcyon" ou "Are you there ?" (issus de You are there, 2006), tirent leur épingle de ce jeu et trouvent là l'occasion d'un lifting tout à fait à leur avantage.
Amplement de quoi donc renouveler l'intégralité du plaisir qu'il peut y avoir à découvrir une fois encore Mono. De quoi approfondir aussi le secret douloureux qui, en studio déjà, faisait languir l'auditeur désireux d'atteindre à la vérité de cette musique complexe. De quoi, regretter, surtout, de n'avoir pas eu le plaisir d'assister à cette prestation, un support aussi fin qu'un disque ne pouvant jamais bien rendre toute l'épaisseur d'un tel concert.
Près de dix ans après son premier album (Under the Pipal Tree, 2001) et avec plus d'une dizaine de contributions studios à son actif, la formation aura fini de prouver, même aux plus sceptiques / cyniques, qui ne voulaient voir en elle que les suiveurs appliqués et poseurs de Mogwai et Godspeed You Black Emperor, qu'elle a la carrure des plus grandes formations historiques. |