Raymond Devos, le célèbre humoriste, mais aussi mime, musicien et prestidigitateur, amateur de jeux de mots et auteur de sketches métaphysico-absurdes tels "La mer démontée", "Mon chien, c'est quelqu'un" ou "J'ai des doutes", a fait encore la une des journaux pendant les dernières années de sa vie, années particulièrement douloureuses en raison de son état de santé. Mais dans des pages moins nobles que celles consacrées à l'actualité culturelle en alimentant, à son corps défendant, la rubrique des faits divers sordides et des chroniques judiciaires.

Au menu, d'un côté usurpation de qualité, tentative de captation d'héritage et soupçon d'empoisonnement par sa dernière compagne alléguée, de l'autre abus de faiblesse, maltraitance et séquestration par sa famille collatérale et son secrétaire-homme de confiance. Au centre, comme souvent, les petites cuillères en argent.

A l'origine de cette bataille rangée, la venue d'une femme de 53 ans, Marie-Christine Roger, qui se fait appeler Samantha Lemonnier et serait auteur dramatique, qui, en 2003, s'est installée au domicile de l'humoriste décédé en 2006, suite à un appel de ce dernier. Ensuite, arguant de sa qualité de compagne, elle aurait vainement tenté de mettre fin à une coalition fomentée par ses proches, soutenue par l'ensemble des médecins et des magistrats, pour le maintenir dans un état de totale dépendance de manière à lui subtiliser ses biens.

Suite à ses démêlés judiciaires, Samantha Lemonnier a décidé de lever le voile sur les "coulisses tragiques de la vie de Raymond Devos" pour écrit-elle aboyer une dernière fois, si c'est tout ce que la loi me permet de faire". Mais dans ce livre, intitulé "Raymond Devos, l'enfer du décor", dont la lecture laisse une profonde impression de malaise et duquel a du mal à se dégager une réalité objective tant foisonnent les zones d'ombre et les incohérences, il s'agit davantage de son histoire et de sa version des faits.

Ainsi Samantha Lemonnier raconte son histoire d'amour avec Raymond Devos, de 28 ans son aîné, avec qui elle a partagé, depuis son enfance - elle l'a rencontré à l'âge de 8 ans - une profonde complicité et un humour similaire, complicité qui s'est mué en amour à sa majorité ("nous étions des amoureux irrésolus, nous devînmes des amants passionnés"). Un amour raconté à la manière des midinettes : "Raymond était un océan de tendresse et aussi un colosse aux pieds d'argile. Il aurait voulu partir avec moi au bout du monde, franchir les portes du merveilleux".

S'en suivit une liaison épisodique à la manière d'un back street qui arrangeait bien l'artiste doté d'une épouse-alibi idéale ("son épouse de 15 ans son aînée qui organisait les affaires de son mari avec un zèle qui confinait au sacrifice inspirant à Raymond une reconnaissance éperdue") et d'autres maîtresses conjoncturelles du même acabit qui semble-t-il égayait ses soirées de gala.

Bien que souffrant de cet état de fait, elle l'acceptait, allant même jusqu'à nouer des relations amicales avec son épouse et une des maîtresses, tout en vivant seule d'un héritage parental et se consacrant à l'écriture sans avoir jamais rien publié ("j'étais trop exigeante envers moi-même pour me lancer sans avoir la certitude de produire une oeuvre achevée").

Sur les coulisses de la vie de Raymond Devos jusqu'en 2003, et dès lors qu'elle n'a jamais vécu avec lui, le lecteur n'apprendra donc pas grand chose de plus que le contenu d'un article de Wikipédia si ce n'est que Samantha Lemonnier, fine psychologue et observatrice, qui aurait surpris et dénoncé dès le début les indélicatesses dudit secrétaire, présente l'humoriste comme "un grand enfant qui a toujours refusé de grandir" doté d'une personnalité schizoïde ce qui, ajouté à son tempérament d'artiste ne vivant que pour son art, explique son laisser-faire.

Pour ce qui est de la période subséquente, qui constitue la partie congrue du récit, la narration chaotique des événements, selon un seul son de cloche et, de surcroît, placée sous le signe de la théorie du complot et de la persécution pour ce qui la concerne et du syndrome de Stockholm pour Raymond Devos victime de plus d'AVC à répétition, qui était "des fragments d'humanité descendus des astres sur terre", est tout aussi troublante que peu convaincante.

Moralité : il vaut peut-être mieux mourir seul et pauvre.