Moi j'aime le noir – et le blanc, à la rigueur, qui flattera mon côté esthète. J'aime quand c'est triste. J'aime les dépressifs, les suicidaires, les fous. On dit qu'ils ont une vision. J'aime les grands thèmes universels, ceux qui font réfléchir et désespérer en même temps. J'aime pas danser, jamais le saturday night n'ai-je la fever de shaker mon booty sur le dancefloor du quartier. Je ne porte jamais de lycra ni de couleurs fluos. Mes chaussures ne sont pas des baskets. J'aime être mal rasé. La solitude me fait moins peur que les atmosphères inutilement bruyantes, futiles. L'amusement à tout prix, décrété, délibéré, provoqué, m'a toujours semblé une faute de goût. Je ne suis pas un mec "cool". Je ne crois pas au cool. Ou alors sur les disques de Miles Davis. Oui, je prête attention aux paroles des chansons. Pour moi le synthétiseur est surtout un instrument des années 80. Quand j'étais enfant j'avais un mini-synthé à la maison, avec lequel je ne me suis pas souvent amusé. Oui, je lis parfois des livres, même des livres avec des mots compliqués, parfois. Je crois peu à l'implicite. Tout le monde n'est pas mon pote. M'ouvrir aux autres n'a jamais voulu dire les laisser me manquer de respect ou me manquer moi-même de respect. Je danse souvent absurdement tout seul dans mon appartement en écoutant de la musique qui n'est pas faite pour danser – dans ces moments, je saute principalement en l'air et en rond, agitant les bras. Je crois en la transe. Je ne crois pas en la drogue. J'essaie d'éviter les clichés mais j'ai conscience d'en déborder. Je mange fréquemment des yoghourts. Je ne mange pas cinq fruits et légumes par jours. J'aime la viande. Je suis curieux et ouvert, intellectuellement. Mon esprit critique est certainement hypertrophié. Je m'ennuie très vite de ce qui est connu, trop connu. Parfois même des humains, trop humains. Je ne crois pas en l'élévation de l'âme. Je crois au divertissement, que j'aime subtil, complexe, nouveau, provocateur. J'aime les défis. J'aime être dérangé ; mais pas que l'on me dérange. Je ne me sens jamais obligé de faire la fête le samedi soir. Pour moi "sortir" veut dire : "aller dehors".
Comment, dans ces conditions parlerai-je bien de ce Reintegration Time, deuxième album des canadiens de Shout Out Out Out Out ? Musique festive, toute de couleurs vives, mêlant avec force contrastes le chaud et le froid, fermement ancrée dans des univers électro-acid-house-technoïdaux, elle m'échappe totalement.
Pourtant l'on essaie de donner à l'ensemble un fond par-delà les blips, les tu-doum et les tonss-tonss-tonss à grand coup de phrases trop longues. Ainsi lira-t-on qu'avec cet album le groupe "persévère dans cette vision froide et distante du monde qui leur est si chère, mais cette fois-ci en se concentrant sur les sensations internes et les déconnections établies pour maintenir l'équilibre entre la normalité et l'absurde". Pour un peu on se croirait revenu à la lecture de La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale de Husserl. Pourtant, ce n'est là que le dossier de presse, précieux outil fourni au chroniqueur pour lui suggérer que penser – de peur, bien évidemment, qu'il ne le pense pas lui-même. Et pour cause...
Je ne suis pas hostile aux musiques de danse, mais comprends assez mal que l'on cherche à leur donner plus de profondeur qu'elles n'en ont. L'album, pour tout dire, n'est pas désagréable à écouter, et certaines sonorités m'auront même été vaguement familières : la couleur très 80's allemande des synthés analogiques (mais, sans guitare ni profondeur méditative, comment songer à Tangerine Dream ?), une certaine touche un peu plus rock sur "How do I maintain (part 2)" et même un vrai-faux air du Tommy des Who (sur "Guilt Trips Sink Ships" ; ces cinq notes récurrentes pendant toute la dernière minute). L'apport du rap de Cadence Weapon (!) sur "Coming home" est précieux, qui ajoute quelque chose d'incisif à des compositions autrement centrées, c'est la loi du genre, sur la répétition et l'ajout progressif mais quelque peu prévisible d'éléments. Mais au total je m'ennuie. Parce que ce que j'aime véritablement, moi, c'est le noir. Et quand c'est triste. Et pas danser. |