Cela a dû leur faire bizarre, aux membres de The National de se retrouver avec la pression d'un Domenech en route pour l'Afrique du sud. Une pression imputable à un truc très en vogue en ce moment que l'on appelle la spéculation. Ainsi donc, sans trop savoir pourquoi, les braves types de The National ont vu leur cote grimper à l'annonce et à l'approche de la sortie de leur du coup "très attendu nouvel album" (j'insiste sur les guillemets). Or, ceux qui fréquentent le groupe depuis leurs débuts savent très bien que s'il y a bien une qualité que l'on peut leur attribuer aux natifs de Brooklyn, c'est bien la constance. D'ailleurs cet aboutissement (entendez une certaine reconnaissance hors du champs des fans invétérés) est largement mérité, à une époque où n' importe quel péquin se retrouve intronisé nouvelle sensation sur la foi de trois morceaux potables balancés sur Myspace.
Pour les National, il en aura été tout autrement. Il aura fallu une bonne dizaine d'années pour que leur nouvel album, High Violet, leur cinquième, leur confère un statut de groupe attendu, ayant quelque chose à prouver. Autant mettre les choses au clair d'emblée... Ces types, responsables d'albums habités et hautement fréquentables (Alligator et Boxer, mais également Sad Songs For Dirty Lovers), n'ont pas ou plus grand chose à prouver. D'ailleurs, High Violet est loin d'être un album immédiat et ne déborde pas d'hymnes anthémiques à la U2. High Violet se dévoile peu à peu et se mérite au fil de nombreuses et patientes écoutes.
D'abord, ne pas se fier à cette pochette colorée et arty... Si The National avait voulu annoncer la teneur musicale de ce nouvel opus par la biais de la pochette, un monochrome marron ou noir de Rothko aurait fait l'affaire. High Violet est de loin le disque le plus sombre et en retenue du quintet, un voyage au bout de l'introspection et de la mélancolie. Les textes de Matt Berninger contribuent beaucoup à cette impression d'ensemble. "Terrible Love", "Sorrow", "Anyone's ghost" évoquent les tranches de vie dépeintes dans les nouvelles de Raymond Carver. De sa voix de baryton, Berninger parle d'amours qui prennent l'eau, du refus d'être le fantôme de quiconque, de maux enracinés depuis des lustres qui ankylosent l'existence.
Musicalement, The National trouve un équilibre entre sombre introspection et fulgurances épiques. "Terrible Love" illustre parfaitement ce périlleux numéro d'équilibriste, largement aidé par le jeu de batterie de Bryan Devendorf. Ce dernier alterne les roulements funéraires proches de Cure circa Faith avec de soudaines cavalcades rythmiques. Les National ont aussi porté une attention méticuleuse aux divers et nombreux arrangements : cuivres et cordes luxuriants bien sûr, mais s'offrent également les choeurs de Sufjan Stevens et de Justin "Bon Iver" Vernon.
Cependant pas de méprise sur ce High Violet : malgré la gravité du ton et du propos, Berninger et son gang évitent l'écueil misérabiliste et l'auto-apitoiement pour tendre vers une élégance et une classe folles. The National incarne la classe américaine, et High violet place le groupe largement au-dessus de la mêlée des "hipsters" à la petite semaine. Les aspirants aux récompenses en tout genre (meilleur groupe, meilleur album...) auront du souci à se faire au moment de faire les comptes à la fin de l'année 2010. |