Lunt est le groupe de Gilles Deles, songwriter, ingénieur du son, et co-fondateur du label We Are Unique Records.
Switch the letters, le deuxième album de cette formation, possède la qualité rare de concilier dépouillement et densité. Les influences seraient à chercher du côté de R.E.M (comme l’excellent titre "Where’s the revolution ?") ou Midlake, comparaisons évidentes dès la première écoute : lenteur et sécheresse de la guitare, fragilité d’une voix pourtant expressive, impact des mélodies, mélancolie légère.
Les chansons prennent le temps de s’installer, elles sont pleines de silence, et ce silence révèle en creux une profondeur musicale. Le temps de ce disque dépasse en fait sa durée effective ; il se prolonge au-delà, comme si ces trois quarts d’heure s’étiraient jusqu’à la perte de notion de durée.
Tous les disques lents ne procurent pourtant pas cette capacité de détente : dans le cas contraire ils se limitent au moment, fixé, d’une simple répétition ; ou à un ennui. Mais on attend d’un disque qu’il nous fasse sortir de l’instant ; qu’il crée un nouvel espace dans lequel se construit une durée subjective. Switch the letters possède ainsi plusieurs mouvements temporels. Essayez de passer le disque en boucle, vous aurez l’impression d’écouter à chaque occurrence quelque chose de nouveau. Je parle en tout cas des premières écoutes. Par la suite, les refrains se précisent, le style s’affirme.
Michaël Stipe est allé plus loin dans ce procédé : ses disques sont autant d’occasion de redéfinir la durée. Cela me fait penser qu’il faudrait écrire un livre qui serait à la pop ce que Matière et Mémoire est à la philosophie. On y parlerait de l’intuition musicale, de l’expérience vécue du temps musical, du devenir irréversible d’un disque, et de son rapport à la mémoire. On y citerait de grands disques bergsoniens, si je puis dire, comme par exemple Colossal Youth, Sister Lovers, ou Loveless. Et cela donnerait lieu à une nouvelle façon de percevoir la musique : faire une critique musicale correspondrait moins à la "critique" systématique qu’à la description du mouvement propre des disques. "Split my body" de Lunt, beau et long titre de fin d’album, pourrait constituer un point de départ à ce projet. |