Théâtre musical d'après l'oeuvre de Guillaume Apollinaire, adaptation et mise en scène de Eric Wallach, avec Madeleine Besson, Emilie Chevrillon, Astrid Bayiha, Thomas Landbo, Thomas Dalle et Sébastien Vion.
Ami parisien, toi qui a peut être voulu te rendre à New-York cet été, sans en avoir la possibilité, tu vas être comblé, car c'est New-York qui vient à toi en cette rentrée 2010.
Dans le cadre de son Festival New York in Paris, le théâtre de La Reine Blanche propose en effet, avec le soutien de l'ambassade des Etats Unis, une rencontre scénique et culturelle, théâtrale et vocale, entre les deux villes.
Parmi les artistes américains ayant répondus présent au rendez-vous de La Reine Blanche, on trouve Eric Wallach, metteur en scène, auteur et producteur de théâtre, qui fait de plus en plus parler de lui outre Atlantique pour son théâtre avant gardiste qui ne cesse d'abolir la distance qui sépare le public du spectacle. Sa dernière création, "Flight 18", a en effet fait beaucoup de bruit dans la presse new-yorkaise pour son originalité et sa créativité. Imaginez-vous que l'artiste, la subvention du Lower Manhattan Cultural Council's Swing Space en poche, a investi pendant 3 mois un espace de 600 m² (rien que cela) offert par la ville pour y représenter son œuvre, vivante et déjantée.
Il s'attèle ici à un nouveau défit en nous proposant une adaptation musicale de la dernière pièce de Guillaume Apollinaire : "Les mamelles de Tirésias".
Imaginez une pièce surréaliste d'un grand auteur français, mais traduite en anglais, adaptée en comédie musicale, produite par une compagnie franco-américaine, mise en scène par un américain, jouée et chantée par des comédiens français bilingues, devant un public exclusivement parisien, et vous comprendrez mieux la nature du challenge que se propose de relever la petite troupe de la New-York avenue.
"The Breasts of Tirésias", comédie musicale surréaliste, apparaît donc sur le papier comme un pari (excusez le jeu de mot) bien risqué et qui pourtant, sur scène, fonctionne parfaitement. Le texte d'Apollinaire, traduit à la virgule près, nous apparaît dans tout ce qu'il a d'universel, transcendant la langue, les lieux et les époques.
Qui aurait pu anticiper que cette pièce de 1917 pouvait encore toucher le public d'aujourd'hui ? Son sujet est pourtant toujours d'actualité.
Thérèse restreinte par sa condition de femme à nourrir son mari et à élever ses enfants, aspire pourtant au pouvoir et aux responsabilités et décide, pour y accéder, de se débarrasser de ses attributs féminins, ses mamelles, devenant ainsi Tirésias. Mais qui fera donc les enfants de Zanzibar ? Qu'à cela ne tienne, c'est son mari qui s'y collera, donnant jour en une nuit à plus 40 049 bébés !
Au travers de ce drame surréaliste, Apollinaire donne une voix à ce Paris d'après guerre, avide de renaissance, pressé de se secouer de sa torpeur culturelle et de renouer avec la créativité et l'espérance.
Par le biais cette nouvelle adaptation, c'est bel et bien ce Paris que l'on retrouve, tant la fraîcheur et la joie contagieuse du spectacle imaginé par Eric Wallach semble fidèle à l'esprit d'Apollinaire et des surréalistes.
L'action est tout autour du spectateur, avant, pendant, après le lever du rideau, sur scène ou dans la salle. Toujours sollicité, il n'a pas le choix de rester indifférent, qu'il ait envie de huer ou d'applaudir, encore moins le temps de s'ennuyer tout au long de ce pétillant divertissement mené tambour battant.
Les comédiens dépensent leur énergie sans compter. Ils semblent retrouver leur âme d'enfant, plein d'espièglerie au milieu de cet univers fait de bric et de broc, imaginé par Virginie Fremont. Les costumes de Séverine Fortune, à la fois ludiques et expressifs jusque dans les moindres détails explorent eux-aussi l'univers poétique et déjanté d'Apollinaire brouillant les identités et refusant le conformisme culturel et sexuel. Les lumières bougent, s'allument, s'éteignent au rythme de la vie intérieur des personnages et du monde qui les entourent. Les sons fusent, se mêlent, entre playback et live. Enfin bref, tout concorde pour donner vie à un Zanzibar haut en couleur, extravagant, fantasmé, naviguant entre rêve et réalité.
Au milieu de tout ce charivari, se détache la voix sensuelle de Madeleine Besson, étoile montante de la scène R&B parisienne qui donne, par sa présence scénique, réalité et profondeur au peuple de Zanzibar. Thomas Landbo, le mari, majestueuse bête de foire dans sa longue robe aux milles mamelles, semble habité d'une folie qui sert de colonne vertébrale à l'œuvre et sur laquelle se greffe la passion de la jeune Astrid Bayiha, Thérèse/Tirésias démesurée. A leurs côtés Emilie Chevrillon (the policeman), Sébastien Vion (Presto/ The son) et Thomas Dalle (Lacouf/The Journalist) comédiens aux multiples talents, alternent chant, danse et musique avec beaucoup de brio et d'entrain.
Fidélité et modernité, expressionnisme à outrance et précision du texte, entre rêve et réalité, passé et présent, cette pièce est une véritable expérience à part entière.
Pari réussi, donc, pour Eric Wallach et ses comédiens. Quand New-York rencontre Paris et s'offrent le meilleur d'elles-mêmes, on aime et on en redemande.
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